Ça va faire mal. J’ai l’habitude. Il faut en passer par là, pour renaître bienheureuse et plus claire qu’un rayon lumineux. Après tout, Gaby adore le Technicolor, brouillard et grisaille n’ont pas de place dans son monde… Quand il me redécouvre en post-réa, c’est bien souvent dans toute ma splendeur divine ; sa fille bien-aimée lui inspire d’un coup dix films, à ce moment-là ! Sans moi, que deviendrait-il ?
J’ai la même chose au quotidien : décors en carton bouilli et rêves en contreplaqué, des acteurs qui font semblant de périr, du trompe-l’œil à mort, du trompe-la-mort à l’œil, à gogo et à vomir : les productions signées par mon daron grand patron, ce « ponte » de l’audiovisuel bidon. Oui, la même chose, un Eurosdiney permanent, ranimé chaque matin…
Voler, fendre l'air. Ouvrir mes ailes. Ne plus redescendre
La bravoure, c'est quand on sait qu'on est seul à avoir peur. Qui a dit ça? En tout cas, c'est peut-être bien la vraie question d'un héros. Moi, j'ai peur, mais je ne veux pas le savoir. Et il faut bien reconnaître que je ne me sens pas encore prêt à me positionner sur la rampe de lancement orientée pour fracasser le ciel de la vérité.
Cette nuit-là -la nuit de cérémonie des Oscars-, j'avais veillé toute la nuit dans l'espoir de t'attraper au vol. Quand Roberto Benigni a escaladé les fauteuils pour quérir sa statuette en or, j'ai songé que ce type, ça pouvait très bien être toi. Tu étais un miracle d'extravagance, tu étais le rire dans ma peau.
Il avait accompli un acte héroïque que nul n’avait jamais osé tenter. Il avait joué un évadé ! Il l’avait fort bien joué. Cette reconnaissance avait beau être de la petite monnaie, il s’en contenta largement. Voir les choses sous cet angle, c’était pouvoir retrouver un air de dignité : on l’admirait quand bien même même ce fut en silence. Il n’était plus vraiment perçu comme un pensionnaire marginalisé. Un acteur, n’était-il pas un être sevré d’affection en quête constante de gloire sur laquelle le soleil ne se couche jamais ?
Il se souviendrait toujours de ces pas décidés qui bruissèrent sur le sol marbré. Ça ressemblait à une mélodie vivante et sincère. Il leva le menton et vit une femme mince de trente-cinq ans environ qui arrivait. Elle avait un joli sourire à faire pleurer de bonheur le cœur le plus endurci et de grands yeux noisette. Emile se refusa à la regarder davantage. C’était sûrement un piège, le miroir aux alouettes de ces lieux pour donner du faux espoir — vous achever.
Le charisme de la star est devenu celui d’une baudruche dégonflée, il ne reste plus que sa dépouille dans les limbes. Son style étrange, entre présence bancale et explosive, n’a plus droit de cité dans cette époque où les acteurs se veulent rassurants. Avec toi, c’est l’âge d’or du cinéma qui finit sur la bande d’une VHS encore trop datée et maintenant illisible, c’est un cauchemar aux paillettes mortes, peut-être un bout d’étoffe dont étaient faits nos rêves.
Il pensa tout de suite que cette fille n’était pas à sa place — tout comme lui. Elle avait la grâce, la vie. Mais pourquoi lui infliger ça, à lui ? Il préférait l’anesthésie générale plutôt que d’assister à ce charme douloureux de gentillesse. Trop, c’est trop. Il souffrirait encore plus. Il préféra ignorer son accompagnatrice davantage ; sa voix consolatrice, ses longs cheveux châtains retenus par un ruban, sa présence. Mais ça lui était difficile.
Faut que je vous dise : j’ai le béguin pour Andrée. En fait, je dirais même que je l’aime. Non, je sais, vous allez me dire, et Mirabelle ? Mais Mirabelle, elle en aime un autre, je l’ai entendu parler de son D.J, c’est une perte de temps pour moi. Andrée, elle, a presque le même âge que moi, elle est bientôt retraitée. Sauf que j’aimerais bien savoir m’y prendre.