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Citation de enkidu_


Les Orientaux caractérisent l’Europe par l’importance qu’elle donne aux forces passionnelles. Ils y voient l’héritage du christianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme, passion, dynamisme, correspondent aux trois traits dominants de la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements.

Cependant, si les conclusions de notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma de l’Occident chrétien.

Tout d’abord : ce n’est pas le christianisme qui a fait naître la passion, mais c’est une hérésie d’origine orientale. Cette hérésie s’est répandue d’abord dans les contrées les moins christianisées, précisément, là où les religions païennes menaient encore une vie secrète. L’amour-passion n’est pas l’amour chrétien, ni même le « sous-produit du christianisme » ou le « changement d’adresse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu. » Il est plutôt le sous-produit de la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne. Première correction d’importance.

Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sources distinctes.

Si c’est notre délire guerrier que l’on entend désigner par ce terme, nous avons vu qu’il se rattache de la manière la plus précise, historiquement, à la passion. Comme la passion, le goût de la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur.

Mais l’autre aspect du dynamisme occidental, j’entends notre génie technique, ne saurait être un seul instant ramené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hérétique dont elle est née ne sauraient proposer comme but à notre vie la maîtrise de la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiurge, et puisque le salut est justement d’échapper à sa loi démoniaque.

Faut-il voir à la source de cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambition chrétienne définie par l’Apôtre (Romains, 8), et qui tendrait à restaurer le Cosmos dans sa loi primitive, troublée par le péché ? La volonté chrétienne de transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée de transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par les Indes ou la Chine, y eût produit les mêmes effets. Mais la réponse n’importe pas ici : il nous suffit de marquer que les éléments occidentaux-chrétiens (c’est-à-dire créateurs) du dynamisme européen, sont orientés par une volonté exactement contraire à celle de la passion.

Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de fait une fatale erreur dans l’activisme moderne, c’est la collusion de la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devenant « nationale » exige la collaboration de toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’est alors la passion (guerrière) qui va devenir le principal moteur de la recherche mécanique : on l’a bien vu depuis 1915. Mais cette union tout à fait monstrueuse des forces de mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre, et le génie technique. La guerre mécanisée évacue la passion, et la technique en devenant mortelle, trahit les ambitions dont elle est née. Il se peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme – comme le répètent tant de publicistes – qui est responsable de la catastrophe.

L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrétien. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’ignorent communément ceux qui assimilent le christianisme et l’Occident, comme si tout l’Occident était chrétien. Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour avoir trop longtemps cultivé la religion para ou même antichrétienne de la passion. (VII, 6)
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