LES MOTS
Prisonnier de la blancheur
tu flottes dans une foule de mots translucides
Des lucioles enfouies dans la nuit
jaillissent d’un coup
comme une rivière laiteuse
Comme des fruits découpés par un coup de dés
les mots se rangent sages
près du pain et du vin dans la corbeille
du poème
À QUI
À qui appartient cette tête ce trou
qui me déserte de tout zéphyr et
me fait oublier
le soleil le fruit la pluie
de la parole
Et à qui est-il ce palais
où par temps de chagrin ou de guerre
je me réfugie je me plie
comme un bout de langue
meurtrie
RAVISSEMENT
Près de la mer parmi les taillis
psalmodie la cigale
ta prêtresse
ô Main silencieuse
cueilleuse
de mes jours des dattes enluminées
par le souffle
du soleil
que tu calligraphies
sur les abeilles
courbes
de la Terre
REVIENS-MOI
Je ne peux trouver le chemin vers toi
et je n’ai d’autre refuge
que dans ces vers que je verse comme des pleurs
sur le bleu velouté de ta peau
Reviens-moi vite beauté dispersée
des roses et des jonquilles
Demain tu fleuriras ma tombe
ACTION NON-ACTION
La foi se fait aveugle
si on la laisse sommeiller…
J’ouvre mes blessures jusqu’à la pointe du soleil
la folie me gagne
quelle merveille voir dans l’obscurité
la figue mûrissant doucement puis tombant soudain
et pour toujours
Action non-action la foi est cette eau
où je m’abreuve
en buvant la route et le tombeau
d’un seul coup
LE DHIKR DU SOLEIL
Bénédiction ô Aleph des pluies
ta voix dans le jardin
est celle du soleil qui s’émiette à tes pieds
Éclair qui ne frappe pas mais brise légère de mes pas
ta voix est ce cri du soleil aux joues d’enfant
jouant dans le sable
LE PAROLIER DE LA RUCHE
Sur une route pierreuse
le parolier de la ruche est ta faim et ta soif
il est cette oreille que tu dresses
à la vue de la gazelle dans le sable
et cette main tendue vers le mirage
miré dans tes yeux ouverts sur
la mâchoire d’un cheval
Hennissement et monnaie payée d’avance
il est l’unique
habitant du fleuve déferlé de la respiration
Chien veilleur de sept eaux dormantes
me voilà devenu homme
C’est encore moi l’antique exilé de la ruche silencieuse
c’est encore moi cet Autre que tu portes en toi
sur une route arrosée d’aube
INCERTITUDE
Dans la pauvreté de mon exil
je suis un caillou roulé par le vent
Loin de la voix du saule pleureur
mon ancêtre
j’habite une citadelle en ruine
flanquée d’incertitude
DIEU
Dieu est ce pays où tu vivais
meurtri par les cris
de ton autre hôte
Invisible éclair mais foudroyant
Il est mon seul équilibre mon seul désir
au-dessus des gouffres rêvés de ce monde
où le vent se lève pour te faire renaître fleur
Ô fleur lisse et brûlante fille du fleuve
tu étais le jardin secret où j’ai vu
briller la sève de l’aube et Dieu
Dieu était ton fruit préféré
RÉVEIL
Borgne de l’œil du milieu
je dormais d’un sommeil aride
allongé sur un lit d’épines
et n’ayant d’autre souvenir
que la voix des mandragores
À mi chemin entre le jour et la nuit
le miel de tes lèvres
vient embaumer mes entrailles
Et l’œil se fait bouche
chantant le plus délicieux
des réveils