Une soirée entre filles, c’est exactement ce qu’il me faut. Je remplacerai ma traditionnelle tequila sunrise par un jus d’orange sunrise… Mais peu importe, l’idée est de passer une soirée légère, sans question existentielle, sans contrainte et sans mec !
Certaines filles sont réglées comme du papier à musique. Moi, de ce côté, je sonne plutôt comme un piano désaccordé. Je ne me suis donc pas non plus inquiétée quand j’ai remarqué que j’avais une semaine de retard. Belle preuve de maturité et de jugeote surtout ! Car te voilà aujourd’hui, grandissant dans mon ventre alors même que tu n’y étais pas invité. Ne le prends pas mal, mais la maternité s’impose aujourd’hui à moi, et je ne suis pas certaine de pouvoir l’assumer. Il faut que j’envisage toutes les solutions. Tu as trois semaines, cela signifie qu’il m’en reste neuf pour prendre une décision, soit environ soixante-trois jours. C’est long, mais c’est court à la fois.
J’ai vécu tant d’années avec lui, je ne peux pas l’effacer d’un coup de ma vie ni de mon cœur, comme s’il n’avait jamais existé. C’est vrai : on a passé
tellement de temps ensemble, tant de bons moments. J’ai grandi avec lui, je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui. Même si les mois qui ont précédé notre rupture ont quelque peu assombri ces souvenirs, je ne peux pas prétendre l’avoir complètement oublié. Qui pourrait faire quelque chose d’aussi définitif ?
Ceux qui affirment haut et fort en être capables sont des menteurs. Soit ils n’aimaient pas réellement la personne qu’ils ont quittée, soit ils ne l’ont pas complètement oubliée.
Je suis le brin de naturel et de spontanéité dont elle a besoin pour s’échapper de son monde d’artifices et, elle, elle est mon coach maquillage et tenues de soirée. Une autre chose nous rapproche depuis notre adolescence : nos déboires amoureux. On a la « chance », si l’on peut dire, de s’être fait plaquer en même temps à plusieurs reprises, et lorsqu’on vit un chagrin d’amour ça aide, crois-moi, d’avoir une amie dans la même misère sentimentale que soi. Cette fois-ci c’est différent. Je suis partie. C’est mon choix, mais le résultat est le même bien sûr. Je suis seule. Enfin, pas tout à fait.
Lorsque Jennifer découvre qu’elle est enceinte, elle peine à y croire. À tout juste trente ans, elle vient de se séparer de son copain et s’est vu proposer une promotion en or à l’autre bout de la planète. Dire que ce n’est pas le bon moment est un doux euphémisme. Mais voilà, il y a ce + sur le test, et ces petites cellules qui se multiplient dans son utérus. Et, maintenant, elle qui a toujours été incapable de prendre la moindre décision doit faire un choix qui changera à jamais sa vie.
Je sais que Maël aime les enfants. Le verbe aimer est un euphémisme en l’occurrence.
Elle les adore. Elle craque littéralement devant leurs têtes joufflues. À bientôt trente ans, elle est très impatiente de fonder une famille, je le sais. Qui ne le serait pas ? Moi, visiblement. Car la notion de famille inclut qu’il y ait aussi un père. Mère célibataire ? Rien que d’y penser, j’ai des frissons dans tout le corps.
On a décidé de rester en bons termes, comme tous ces couples séparés qui continuent à se souhaiter les anniversaires. On ne se quitte pas parce qu’on ne s’aime plus, mais parce qu’on est incapables de vivre ensemble. Nos vies prennent des directions, des sens différents, et on serait tous les deux malheureux de devoir renoncer pour l’autre au chemin qui s’ouvre à nous. C’est pour cela
qu’on s’est séparés.
Ce que je vois dans le fond de mon cendrier, ce sont les restes de tous mes projets, envolés en fumée. Je m’étais enfin débarrassée de mes chaînes, et ma tête bouillonnait d’idées ambitieuses, il y a quelques secondes à peine.
Les hommes sans prétention ne se hasardent pas à l’aborder, n’osant imaginer qu’elle puisse s’intéresser à eux. Mais le temps fera son effet. Les hormones aussi. Je ne m’inquiète pas pour elle, je sais qu’elle trouvera le bon.
L’argent, le pouvoir et le sexe, voilà ce qui gouverne notre monde, et ce qui pousse les plus ambitieux à marcher sur ceux du bas. Car pour s’élever dans notre société il faut fatalement, à un moment ou à un autre, écraser nos pairs.