L'Antre des livres 2022
Dominique Lin
Extraits de lectures
Ils sont partis, Taras Chevtchenko
Je suis un homme, interprète : Zazie, paroles : Philippe Michel Paradis / Jean Pierre Pilot / Isabelle Anne De Truchis De Varennes
Être humain autrement, Souleymane Diamanka
Violoncelle, Emmanuelle Rauch
La mort, cette porte qui ne s'ouvre que dans un sens, est le seul rendez-vous garanti de notre agenda, tous les autres sont aléatoires. (p.41/42)
Envahi par la romance des nuées de mots qu'il avait lus, il craignait parfois de vivre par procuration, par coutumace. Il traversait les siècles, les contrées, la conditions d'autres hommes qui, comme lui, parcouraient la lande, cheminaient en aveugle sur une piste vierge. Il s'interrogeait sur l'illusion de l'univers, son inutilité, sa dérision. L'homme était dérisoire par son orgueil face à sa petitesse. Les hommes s'agitaient, se combattaient, voulaient diriger un monde bien plus grand qu'eux.
Fouiller son histoire, c'est essayer de comprendre ce dont on est pétri, et il est difficile de trouver des pistes sur des terres ordinaires. (…) Mais quelle trace l'histoire garde-t-elle des gens qui n'ont apparemment rien accompli hormis profiter du temps qui leur était imparti ? N'est-ce pas là déjà une grande victoire que d'avoir vécu, d'avoir mené des combats pacifiques dont l'issue n'est jamais certaine.
Léon allumait rarement la télé [...] préférant se plonger dans l'immensité des livres. Il les préférait peu épais, persuadé que quelques pages suffisaient à exprimer l'idée de l'écrivain, le surplus n'étant que verbiage et digressions. [...] Les livres qu'il appréciait relevaient de la concision, de la ciselure. (p.40)
L'écume du savon flotte dans la bassine en zinc, une main la récupère dans une casserole pour donner meilleure allure au bain de l'enfant suivant. La cuisinière à charbon carbure depuis des heures pour chauffer l'eau dans le chaudron. (…) Parfois, quelqu'un ouvre la porte et le froid en profite pour tourbillonner dans la pièce et faire frissonner mon corps mouillé. La chaleur se jette dans la rue, vouée à une mort certaine.
Les mots se déversaient sur les pages comme les vagues sur le sable. Une force se libérait, véritable marée de phrases, de paragraphes, de chapitres. De phrases ... il pensa à sentence en anglais. La sentence était rendue, il était condamné à écrire. Condamné, non, c'était un délice, une jouissance; une parenthèse s'ouvrait sur l'irréel. Il s'engouffra dedans, avide de retrouver les sentiers du plaisir.
Sa vie si discrète prenait un sens ; il n’avait rien accompli de grandiose, il n’avait pas eu son quart d’heure de gloire, mais il acceptait qui il était
Combien de journalistes accolent le terme de philosophe à certains contemporains dont le discours relève parfois de la sottise ou de la ségrégation ! Ce n'est pas parce qu'on pense beaucoup qu'on pense bien et le bien n'a de valeur que s'il s'adresse au plus grand nombre, pas à une poignée de privilégiés ou d'intellectuels perdus dans des sphères hermétiques [p.97/98]
« Indignez-vous ! avait écrit un homme dont chacun s’appliquait à dire qu’il était sage. Mais après ce cri dont le seul symbole contenait du sens, qu’avait-il fait ? Les millions de lecteurs bien intentionnés, qu’avaient-ils faits, eux aussi ? Le soufflé était retombé, le livre gisait désormais sur quelque étagère de bibliothèque, entre Hemingway et Hugo… autant se taire
Certaines personnes s'inscrivent dans la mémoire collective, d'autres se contentent de vivre leur temps discrètement. Pas de fait de guerre, pas de découverte, de théorie mathématique ou de citation philosophique. Il n'en reste pas moins qu'elles ont aimé, espéré, donné du plaisir ou de l'espoir à ceux qu'ils ont connu. (p.29)