Citations de Dominique Marcoux (26)
Le paysage était d'une beauté sauvage, la colonne avait descendu une piste menant au fond du canyon, remontant le courant du Peach Canyon qui peu à peu s'élargit. De chaque côté de la rivière une falaise de plusieurs centaines de mètres s'élançait vers un ciel sans nuage où parfois tournoyait un rapace.
Tout l'art du pêcheur, en fonction de la saison était de présenter un beau ver rouge, ou encore une sauterelle épinglée sur l'hameçon juste en-dessous de sa fine carapace qui la laisserait vivante et remuante à souhait. Parfois, il s'agissait de lancer une mouche au bon endroit en agitant la soie au-dessus de sa tête, comme un fouet. Une mouche confectionnée patiemment avec des plumes imitant les appâts du moment, mouche de mai, nymphe ou éphémère.
De son passé d'agriculteur aisé, il avait conservé un port altier et solide, comme souvent ces hommes des hauts plateaux de cette région ancestrale de l'Aubrac.
Il longea une longue allée de tilleuls dont les feuilles commençaient à tomber. Il adorait ces arbres qui dégageaient une odeur sucrée au printemps lorsque les fleurs s'ouvraient, embaumant l'allée.
Les ciels d'Aubrac étaient souvent changeants. Parfois, des nuages blancs couraient, emportés par le vent du nord, filant au-dessus des pâturages vallonnés, espacés par les murets de pierre sèche, où paissaient les troupeaux. Au loin, des lacs miroitaient par moments au soleil.
Et il se souvenait aussi de la borie de son grand-père en Lozère, sur ce merveilleux lac des Salhiens agité par une petite brise déclenchant des vaguelettes grises ou bleues selon le temps.
Leur but était le Montana et le Wyoming, des terres pratiquement inexplorées, vierges de civilisation blanche, très giboyeuses et où paraissait-il les Indiens, principalement des Sioux, étaient accommodants avec les blancs.
Il avait vu des photos de l'Ecosse et il s'imagina que l'Aubrac devait y ressembler, une terre aussi fière que les Highlands, avec ses pentes douces à perte de vue, séparées par des murets de pierres sèches délimitant les prairies et les bois de pins sylvestres.
Parfois, un oiseau bizarre traversait la piste, détalant bêtement, sans avoir l'idée de s'envoler.
Par endroits, des chiens de prairie émergeaient d'un trou au beau milieu d'une terre à l'herbe rase, leur tête pivotait à trois cent soixante degrés, pris d'inquiétude ou de curiosité.
Le paysage étonnait par sa terre ocre rouge, des rochers découpés, formant par endroits des ponts, le tout sur une terre sèche où poussaient parfois de grands cactus candélabres s'élançant vers le ciel.
Il faisait frais et la nature semblait figée sous un léger givre, la rosée perlant sur l'herbe verte. Elle n'allait pas tarder à prendre ses couleurs d'automne, rougissant les bouleaux et les sycomores, chamarrant les arbres de jaune, d'ocre ou de marron comme une palette de peintre.
La fario était madrée, se cachant derrière un rocher, tout près d'une frayère aux gravillons clairs. Elle s'embusquait à son poste de chasse, attendant le vairon blessé ou la sauterelle verte qui avait manqué son saut. Elle attaquait brutalement, emmenait sa proie sous le couvert du rocher.
Puis commençaient alors les bosquets de pins sylvestres qui laissaient tomber des myriades de petites pommes de pin le long des murs de pierre sèche.
L'Aubrac étaient rempli de chapelles romanes élevées depuis des siècles au confluent des rivières qui couraient la lande ou des chemins surmontés de tant de calvaires.
Il ne pouvait s'empêcher de penser que toutes ces églises de pierre grise, aux tympans ouvragés avaient recueilli au fil des siècles tant de prières, tant de joie dans les baptêmes, les communions ou les mariages et aussi tant de pleurs au souvenir des défunts.
Mais une église représentait pour lui l'endroit où un homme rencontrait Dieu où même si on n'était pas croyant, ce havre de paix et de sérénité ne pouvait qu'élever l'âme.
Barthélémy pensa tout naturellement aux grives qui ne tarderaient pas à survoler les landes et les bois de pins sylvestres des hauts plateaux. On était tout près de la Saint-Luc, la date ancestrale prévue pour le passage des draines venues de Scandinavie, puis des musiciennes qui les suivraient d'une quinzaine de jours.
Le temps était à la pluie, un petit vent aigre soufflait depuis deux jours du nord, courbant les genêts et les bruyères du long plateau surmonté de sombres nuages bas s'effilochant sous les bourrasques.
Une étoile, puis deux s'allumèrent dans le ciel sans nuage. Demain serait un autre jour, un autre jour où il serait encore seul.