Tout l'art du pêcheur, en fonction de la saison était de présenter un beau ver rouge, ou encore une sauterelle épinglée sur l'hameçon juste en-dessous de sa fine carapace qui la laisserait vivante et remuante à souhait. Parfois, il s'agissait de lancer une mouche au bon endroit en agitant la soie au-dessus de sa tête, comme un fouet. Une mouche confectionnée patiemment avec des plumes imitant les appâts du moment, mouche de mai, nymphe ou éphémère.
Le paysage était d'une beauté sauvage, la colonne avait descendu une piste menant au fond du canyon, remontant le courant du Peach Canyon qui peu à peu s'élargit. De chaque côté de la rivière une falaise de plusieurs centaines de mètres s'élançait vers un ciel sans nuage où parfois tournoyait un rapace.
De son passé d'agriculteur aisé, il avait conservé un port altier et solide, comme souvent ces hommes des hauts plateaux de cette région ancestrale de l'Aubrac.
Il longea une longue allée de tilleuls dont les feuilles commençaient à tomber. Il adorait ces arbres qui dégageaient une odeur sucrée au printemps lorsque les fleurs s'ouvraient, embaumant l'allée.
Les clochers à peigne se dressent encore par tout le haut plateau, orgueilleux, attendant que le vent pousse la plainte des cloches tintinnabulant gaiement pour annoncer la bonne nouvelle, celle aussi d'un mariage ou d'un baptême, se lamentant parfois d'un glas lancinant annonçant le départ pour d'autres cieux de l'un de ses enfants.
Barthélémy pensa tout naturellement aux grives qui ne tarderaient pas à survoler les landes et les bois de pins sylvestres des hauts plateaux. On était tout près de la Saint-Luc, la date ancestrale prévue pour le passage des draines venues de Scandinavie, puis des musiciennes qui les suivraient d'une quinzaine de jours.
La fario était madrée, se cachant derrière un rocher, tout près d'une frayère aux gravillons clairs. Elle s'embusquait à son poste de chasse, attendant le vairon blessé ou la sauterelle verte qui avait manqué son saut. Elle attaquait brutalement, emmenait sa proie sous le couvert du rocher.
Il faisait frais et la nature semblait figée sous un léger givre, la rosée perlant sur l'herbe verte. Elle n'allait pas tarder à prendre ses couleurs d'automne, rougissant les bouleaux et les sycomores, chamarrant les arbres de jaune, d'ocre ou de marron comme une palette de peintre.
Les ciels d'Aubrac étaient souvent changeants. Parfois, des nuages blancs couraient, emportés par le vent du nord, filant au-dessus des pâturages vallonnés, espacés par les murets de pierre sèche, où paissaient les troupeaux. Au loin, des lacs miroitaient par moments au soleil.
Il avait vu des photos de l'Ecosse et il s'imagina que l'Aubrac devait y ressembler, une terre aussi fière que les Highlands, avec ses pentes douces à perte de vue, séparées par des murets de pierres sèches délimitant les prairies et les bois de pins sylvestres.