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Citation de dreoilin


Résistance médiévale des divinités sylvestres
À la façon de tout bouleversement spirituel, celui que décrit le théologien
catholique fut lent à produire des effets. Au-delà du XIe siècle de
notre ère, l'animal se trouve encore fréquemment représenté dans la
statuaire religieuse. L'art roman puis l'art gothique lui accordent une
place nullement négligeable. Il est souvent transposé en animal fabuleux
par l'imaginaire celtique renaissant au Moyen Âge. Les légendes celtes
montrent en effet que ne s'était pas perdue la faculté de communiquer
avec l'animalité sacrée. Comme dans la mythologie grecque, les dieux
celtes de la chasse protégeaient les animaux tout en favorisant les chasseurs.
La littérature du Moyen Âge, chansons de geste ou romans du
cycle breton, toute débordante de spiritualité celtique, brode invariablement
sur le thème de la forêt, univers périlleux, refuge des esprits et
des fées, mais également source de purification pour l'âme tourmentée
du chevalier, qu'il s'appelle Lancelot, Perceval ou Yvain. En poursuivant
un cerf ou un sanglier, le noble chasseur s'approprie son esprit. En mangeant
le coeur du gibier, il s'approprie sa force même. Dans le Lai de
Tyolet, en tuant le chevreuil, le héros devient capable de comprendre
l'esprit de la nature sauvage dont il s'est pénétré.
Les efforts n'avaient pourtant pas manqué pour diaboliser et détruire
les grandes forces émotionnelles de l'ancienne tradition. Dès le Haut
Moyen Âge, l'un des soucis de l'épiscopat avait été de combattre les
pratiques païennes attachées aux arbres et aux sources. Écrivant son Historia Francorum à la fin du VIe siècle, Grégoire de Tours tonnait
contre le peuple franc qu'on «a toujours vu s'adonner à des cultes
fanatiques ; il ne connaît pas Dieu ; il se fabrique des images des forêts,
des oiseaux, des bêtes sauvages et des autres éléments ; il leur rend un
culte ; il leur offre des sacrifices comme s'ils étaient des dieux ». C'est
aux arbres sacrés que l'on en voulait tout spécialement, à l'exemple de
saint Martin, l'évangélisateur de la Gaule. Mais parfois l'Église choisissait
de composer, appliquant les instructions données en 596 par
Grégoire le Grand à Augustin de Canterbury, envoyé pour évangéliser
l'île de Bretagne : «Tant que la nation verra subsister ses anciens lieux
de prière, elle sera plus disposée à s'y rendre, par un penchant d'habitude,
pour adorer le vrai Dieu. » On annexa donc les lieux de culte et
l'on christianisa les dieux familiers, transformés en saints locaux.
En dépit de ses efforts et de son inflexibilité, principalement en Saxe,
en Scandinavie, dans les Pays baltes, l'Église peinait à déraciner les
croyances associées aux arbres et aux forêts. Au XIIIe siècle, pour désigner
les esprits de la sylve, Gervais de Tilbury employait le terme de
sylvains. Mot qui renvoie bien entendu à sylva, mais aussi à Sylvanus,
divinité gallo-romaine, maître de la forêt, équivalent du dieu Pan.
Sylvanus disposait d'un temple à Rome sur l'Aventin, bien que ses
séjours fussent surtout forestiers. Les sylvains étaient aussi les
« Hommes Verts » des sculptures romanes et gothiques. Ils désignaient
les esprits rebelles que l'Église n'avait pu intégrer ou dévaloriser.
Trois sortes de sylvains se montraient particulièrement résistants, les
elfes, les nymphes et les fées. L'elfe était issu de la mythologie germanique
et celtique. Directement associé aux arbres, il fut peu à peu investi
d'une signification bénéfique. Absent des romans courtois, il apparut en
France vers le Xve siècle, fin de la période médiévale. Il connut ultérieurement
une immense fortune poétique à l'époque romantique.

pp 231-232
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