Il citait volontiers les mots de Rilke: "Uberstehen ist alles." (L'essentiel est de survivre), mais pressentait de plus en plus que sa génération ne serait pas capable de trouver en elle-même la force de cette survie. "Nous sommes trop érasmiens... pour nous élever contre des hommes qui ont un butoir à la place du front et du cerveau . Seuls peuvent s'élever contre ces fanatiques du nationalisme , d'autres fanatiques : nous sommes empoisonnés par notre humanisme.". (p. 277)
Mais Balzac à l'oeuvre le fascine plus encore par l'énergie démoniaque déployée dans cette production fantastique et les éruptions presque volcaniques qui accompagnaient corrections et remaniements, épreuve après épreuve. (...)
Il garda jusqu'à la fin de sa vie l'idée d'une biographie critique complète de Balzac qu'il ne parvint jamais à mener à bien.
"Apparemment ce sont les évènements qui nous éloignent ou nous rapprochent les uns des autres, mais en réalité, notre vie est régie par des courants plus profonds et une magie impénétrable perceptible par les sens, non par la pensée, infléchit notre destin quand nous croyons l'orienter nous-mêmes." (p. 42)
Il demeura six mois à Paris . (1905)
A son retour à Vienne, il put enfin, après deux années de correspondance, rendre une visite longtemps différée à Hermann Hesse, dans sa maison de Gaienhofen, sur le lac de Constance. Il arriva animé d'un tel enthousiasme qu'il ne remarqua pas les poutres bases de la vieille maison et se donna un coup sur la tête qui le laissa sans voix pendant un quart d'heure.
Sa faiblesse, son incapacité de décevoir ou de refuser quoi que ce soit à ses amis étaient en contradiction constante avec son besoin de liberté et d'indépendance. (p. 202)
Il était depuis longtemps conscient du caractère amoral de l'histoire qui ne punit jamais le mal, ne récompense pas le bien et obéit à la force plutôt qu'à la justice. Il n'avait pas oublié l'autre leçon de l'histoire qui enseigne que toute tentative d'enfermer le monde dans un seul et unique système est vouée à l'échec, mais il n'avait pas la patience d'attendre le tournant. (p. 351)
La Vienne dans laquelle naît Stefan Zweig le 28 novembre 1881 donnait l'illusion de la sécurité et de la stabilité la plus parfaite.La grave crise financiére de 1873,année de l'Exposition universelle de Vienne,appartenait au passé et,au coeur de l'Europe en paix,une société prospère se désinteressait de la politique mais se délectait d'événements plus futiles.Une partie de chasse de François-Joseph à Gödöllö ,Charlotte Wolter dans Phédre au Burgtheater,la derniére operette de Johann Strauss,Der lustige Krieg,au Theater an der Wien avec une découverte,Alexandre Girardi,la satire de Gallmeyer,Sarah und Bernhardt représentée juste aprés le passage de la tragédienne à Vienne,passionnaient davantage les lecteurs des journaux que les difficultés dérisoires du ministère Taaffe ou les complications de la question Danubienne.
"Nous sommes une génération vaincue, il nous manque l'élan d'un pays en plein essor, d'une époque en progrès. On nous a gavé de haine, purgé avec de la peur, infligé la stupidité, on a dévoyé nos esprits avec des jeux d'argent aussi absurdes que des feux d'artifice. " (p. 175)
Lors de la publication de cette biographie sous sa forme originale en 1972, j'ai insisté sur le fait qu'elle ne prétendait pas être définitive. ceci est toujours vrai. Quoique j'ai pu utiliser la plupart des sources d'informations encore disponibles , compulser une grande partie de l'énorme correspondance de Zweig, des pans entiers de celle-ci restent à exploiter, celle avec Rolland en particulier. Certains détails seront peut-être à modifier, mais le tableau esquissé ici à larges traits gardera toute sa valeur.
Note sur l'édition
Zweig voulait aller plus loin que la paix à n'importe quel prix, il attendait de la défaite [à la première guerre mondiale] la résurrection de l'esprit. (p. 120)