On y avance à tâtons mais il n'y a pas d’embûches, on s'y sent en confiance. Plus on avance et moins on redoute la présence d'une quelconque entrave. Non, il n'y a pas de corps en travers. Il y a des portes dans le couloir. Des portes noires, invisibles, de chaque côté. On avance sans même les imaginer. Mais elles sont là, toutes ces portes à gauche et à droite. Elles n'ont pas de poignées et elles ne sont pas fermées. Elles donnent sur d'autres corridors. On ne le sait pas et on passe à côté de tant d'autres destinées. Parce qu'on est en confiance et que seul avancer sans entraves importe. Quand j'avance sans me soucier des entraves, je raille les morts.
Pour moi, l’heure était proche. Que je me fonde dans un corps d'armée ou dans un autre, je ne pouvais échapper plus longtemps aux combats, d’autant qu’une division nous fit passer devant. Je trouvai ces crétins soudain moins va-t-en-guerre ! Hélas, je me retrouvai désormais dans les premières lignes face à une forteresse réputée imprenable... Après des engagements peu concluant, les Russes ne répondant pas à nos provocations, ordre fut donné d'attaquer à deux divisions en même temps sous couvert d'un feu d'artillerie comme je n'en avais encore jamais vu ! Seigneur, je crus perdre la vue et mes tympans !
Moi, le promis déserteur, tombais dans une impasse. Plus d'échappatoire, de bifurcation possible… J’étais contraint de me confronter le temps d'un assaut à l'inhumanité de la guerre comme une réponse à ma supercherie, mon forfait d'imposteur : je n’ai jamais été officier de ma vie. J’ai brûlé les étapes, achetant un titre pour m'offrir une expérience absolue : rester simple soldat ne m'aurait affranchi d'aucune autre issue que suivre un mouvement trop ordonné, trop bien pensé. Je serais resté prisonnier comme le chiffre à sa colonne.
Napoléon lui-même, qui hésita en préambule à ordonner l'attaque de la cité sans véritable enjeu stratégique - si ce n'est de se trouver sur la route de Moscou - fit erreur. Les Russes ne défendirent pas leur ville Sainte et préférèrent poursuivre leur jeu de dupe.
Formez des armées, privez les hommes de leurs outils, et vous en faites de parfaits soldats livrés au jeu grisant de la peur…