LA DANSE DES PASSIONS
… et les oiseaux amoureusement perchés.
Je les élevais sur la terrasse de la vieille maison,
dans la soupente et sur le balcon, qui donne sur
la rue Ibn-Zahr dans Ragheb-Pacha, ou encore
sous ma petite bibliothèque à l'étagère élevée et
aux deux portes vitrées. Quelques-uns étaient
percheurs ; d'une blancheur éclatante, ils avaient
la poitrine bombée et le roucoulement profond.
D'autres, au plumage léger tirant sur du bleu ou
du rouge chatoyant, au long-bec, demeuraient
silencieux, taciturnes. D'autres encore, d'un marron
velouté, aux tons chauds, africains, roucoulaient
sur une note monocorde. Des noirs, énormes, au
plumage parsemé de taches, au collier orné d'un
gris perle, au roucoulement alangui, se balan-
çaient avec une indolence coquette.
…
Mais tous avaient des yeux de cristal limpides
et comme animés d'une onde de colère pure.
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Ce fut Olga, la fille de mon oncle paternel Hanna, qui nous ouvrit la porte. Elle était grande, elle avait la peau blanche et les yeux globuleux; elle portait une gallabeya de forme paysanne, avec des rayures. Lorsque, penchée sur moi, elle m'embrassa affectueusement de sa grande bouche aux dents saillantes, et aux grosses lèvres, je sentis sur mon visage le poids de ses seins fermes et je respirais, venant d'elle, une odeur indéfinissable; je regardai avec étonnement, tandis qu'elle marchait devant nous dans le couloir, son postérieur arrondi qui semblait n'être pas partagé par une ligne médiane mais former plutôt un seul bloc sphérique. Elle était âgée; ma mère disait qu'elle avait au moins trente ans, et qu'elle était restée vieille fille, la pauvre.
Mon chant n'est pas une plainte ni un sanglot, c'est le grondement de l'aigle blessé et victorieux, c'est la modulation perpétuelle de la lettre nasale, le nîm.
Au plafond était fixé un grand lustre éteint. Une odeur particulière flottait, cette odeur de gloire un peu crasseuse, ancienne et cachée que nous ne connaissions pas chez nous, dans notre maison devant le moulin mécanique, à Gheyt-el-Enab, où les portes restaient toujours ouvertes, et les pièces baignées de soleil...
Nous habitions là tous ensemble, mes parents, mes oncles et leurs épouses, mon grand-père et ma grand-mère, et nous n'éprouvions aucunement, à vivre ainsi dans la clarté, le sentiment d'être à l'étroit ou de nous gêner les uns les autres.
Je me rends compte que le désir, aussi impétueux que la vague, se jette, avec le même élan, sur le rivage, il s'y précipite les bras écartés, sans choisir l'endroit où il va tomber, épuisé par son long voyage.
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Mon amour est une quête perpétuelle et une appréhension de rupture.Sans rémission.Mon coeur est une île assiégée.