Si quelques mères dans leur cœur avaient pensé que l'Espagne serait moins terrible pour leurs enfants et qu'elle aurait un certain parfum de mise à l'abri, cela ne s'est pas réalisé pour tous. Le patriotisme, l'envie de se battre, sont montés peu à peu dans les prisons et dans les camps d'Espagne. Si bien que ce sont des recrues enthousiastes, gaullistes plus qu'à souhait, qui arrivaient au Maroc.
Page 205
Avoir « l'air étranger au pays », c'est ce qui attire les gendarmes. Repérables, ils le sont, tous ces candidats à l'évasion, à une époque où la variété vestimentaire de la faune touristique d'aujourd'hui n'a pas encore habitué les habitants du moindre hameau pyrénéen.
Page 144
Quelle est la population concernée par cette activité ? Pour que ce soit plus commode sans être erroné, disons que le département comptait 200 000 âmes, prisonniers en moins, réfugiés en plus, qu'il a suscité 550 évadables et 300 passeurs, disons 900 personnes concernées, pour arrondir les chiffres et n'en oublier aucun, et nous avons une participation pour l'ensemble de la population vieillards et bébés compris, puisque nous ne pouvons les soustraire, de 0,45%.
page 208
Lorsque j'ai demandé aux gens si les patrouilles allemandes du Hautacam avaient eu leurs chiens égorgés […] ou si on avait retrouvé des cadavres pendus aux branches des arbres pour que les oiseaux de proie les dévorent et enlèvent ainsi toutes traces (et les os?)... On m'a ri au nez ! Mais du poivre moulu ou en grain, répandu sur les sentiers pour couper le flair des chiens, ça oui. On en fit une grande consommation dans toutes les Pyrénées. Et des chiennes en chaleur aussi, j'ai eu des témoignages en Haute-Garonne, mais c'était risqué si la chienne ramenait chien et patrouille à son maître.
Page 112
Les Allemands se méfient de la surveillance française, dès le début, montrant bien par là à ceux qui en douteraient où se trouve leur devoir. La rivalité avec le gendarmes français et la réclamation de prisonniers apparaissent plusieurs fois.
Page 208
On ne se bouscule pas ici pour s'évader en 1940. Tout se fera insensiblement. L'armée française n'a pas reflué vers l'Espagne par les cols pyrénéens, comme avait fait, en sens inverse, l'armée espagnole. La population civile non plus. L'Armistice arrêta au pied de la montagne l'avant-garde des régiments en retraite. Malgré son inquiétude, la population civile ne les précéda pas. Qu'aller faire dans un pays si pauvre et si ravagé par la guerre ? La Bigorre est bien plus confortable, et même bien des régions de France.
Page 209.
Arrens, Estaing, Cauterets, Gavarnie, Gèdre, Aragnouet, Tramesaygues, Saint-Lary, Azet, Génos et Loudenvielle : onze communes frontalières ! Temps de guerre ou temps de paix, il n'y avait ni train ni route qui, des Hautes-Pyrénées, allât en Espagne. [...] Un certain isolement, une allure de bout du monde... Comme au Moyen-âge, il fallait prendre ses jambes ou son mulet et autant que possible ne pas avoir à franchir la montagne en hiver ou un jour de tempête.
En résumé, des chaines invisibles reliaient presque toutes les régions de France à cette portion de frontière, et ce avec succès. Oh, bien sûr, succès très faible si on comptait avec la population concernée. Un million et demi de travailleurs exigés, 700 000 envoyés en Allemagne. Mais pas le 1/10ème évadé en Espagne. Sur l'ensemble des évadés de toute la frontière , probablement deux fois moins que de [prisonniers de guerre] évadés d'Allemagne.
Ce ne fut donc pas une émigration de masse sauf pour quelques villages frontaliers. Un esprit chagrin pourrait donc dire, "que ça ? trois ou quatre évadés, pour la majorité des départements ?" et en conclure qu'il n'y a pas eu d'évadés au moins sur cette portion de la frontière.
Il est certain qu'éparpillés ainsi, on ne ressent pas une pression de foule pour reprendre le combat. Mais ce qui est intéressant, c'est que cette zone répulsive de montagne a tout de même attiré de partout. Evasion sporadique, certes, mais évasion à peu près généralisée.
Page 164