Histoire ou statistiques ?
Depuis la lecture de "Trois Américains à Marsac La liberté par les Pyrénées", je voulais en savoir plus sur les franchissements clandestins de la frontière pendant la guerre. Comment étaient organisés les réseaux ? Par où passaient les candidats à l'évasion ? Comment étaient-ils traités en Espagne ?...
Le livre d'Émilienne Eychenne n'a répondu que très partiellement à mes questions. Modeste, l'auteure dit n'avoir voulu que préparer le travail des historiens à venir, en particulier en recueillant des témoignages directs avant qu'il ne soit trop tard. Elle a accompli un travail considérable en partant du peu que contenaient les archives : en France, les registres des personnes arrêtées, en Espagne de même celles des personnes interpellées. Et surtout en essayant de confronter ces informations aux souvenirs (dans les années 1970) des témoins oculaires et des acteurs.
Il en résulte un ensemble de données, traitées ensuite dans tous les sens, avec tous les tableaux et graphiques possibles (par date, par lieu, par âge, par origine...). le tout est un rien soporifique, mais je suis un lecteur obstiné qui renonce rarement. Statistiques, donc, mais histoire ? mais géographie ?
Au début de l'ouvrage, seul un bref avant-propos présente des considérations générales sur les motifs et le contexte de ces tentatives d'évasion. Vient ensuite un chapitre qui m'a passionné (en tant que gavarneur) sur la géographie et la situation politique du département des
Hautes Pyrénées avant et pendant la guerre, expliquant la difficulté et les avantages des lieux. C'est qu'ici, la montagne se mérite, les cols sont hauts, difficiles à surveiller parfois, difficiles à franchir toujours.
La suite, ce sont quelques phrases à piocher au milieu de pages bien sèches, qui fournissent quelques anecdotes, quelques explications. Mais j'ai eu l'impression que le lecteur était supposé déjà tout savoir, avoir tout compris, avant d'ouvrir ce livre.
Très peu d'informations malheureusement sur l'organisation, la taille, les motivations des réseaux d'évasion, leurs liens avec les maquis, ni même sur la proportion des évadés qui ont profité de leurs services. Pas grand-chose de nouveau sur le traitement des personnes arrêtées en Espagne : un peu de prison pour franchissement illégal de frontière, puis le camp, et souvent la récupération par des services français (?) bien organisés pour assurer le passage au Maroc.
J'ai glané quelques lumières sur la mollesse volontaire de la plupart des fonctionnaires français qui devaient empêcher les passages, et surtout sur les motivations des fuyards : parfois par volonté claire de combattre, ou pour éviter l'envoi en camp de concentration, mais surtout pour échapper au service du travail obligatoire. Mais pas une vision d'ensemble, et aucune volonté de conter l'histoire.
C'est donc un ouvrage méritant, bien documenté, mais aride.