Trop de bonheur
Il se mit à examiner les gravures et les photographies devant la boutique d'un libraire, et se laissa tenter à acheter " Les Voyages " de Stanley sur le continent africain. Il avait besoin d'émigrer au moins pour la pensée, jusqu'à ce que beaucoup d'eau eût passé sous les ponts.Mais il sentait déjà qu'il est plus facile de tuer un homme que de tuer un préjugé. Il ne pouvait se résigner à vivre ainsi, minute par minute, comme une montre.Il avait besoin de donner à sa vie une forte secousse et de faire tomber d'un coup toutes les feuilles mortes.
( p.83)
Le Baron et le prêtre
Le Baron Charles- Coriolan de Santafusca ne croyait pas à Dieu et moins encore au diable (...)
Pendant quelques années, le jeune homme, dit " le Baron", lut des livres et prit la science au sérieux : mais il n'eût pas été lui, si, pour l'amour de la science, il eût renoncé aux belles femmes, au jeu, au bon vin du Vésuve et aux chers amis.Le libertin mit la main sur le moine et sur le nihiliste, et de la fusion de ces trois hommes sortit le baron, unique en son genre, grand joueur, grand fumeur, grand blasphémateur devant l'éternel Néant, et en même temps camarade aimable, idole des femmes, courageux comme un forçat, et à certaines lunes rêveur comme un brahmane.
Nous parlons ici du baron de sa première manière, quand il n'avait pas plus de trente ans. Naples alors n'était tout entière qu'une fête garibaldienne, blanche rouge et verte.Les femmes embrassaient les beaux soldats dans la rue et élevaient les enfants sur leurs bras afin que Garibaldi les baptisât au saint nom de l' Italie.
Usilli racontait des anecdotes galantes avec tant d'heureux traits d'esprit qu'il eût fait rire les fenêtres.
( p.172)
Préface de Bernard Quiriny
Une rencontre au club des barons littéraires
(...)"Le Baron de Santafusca et le Curé de Naples ", le livre d'où sortait ce baron mélancolique, furent en 1887 le premier succès d'Emilio de Marchi, un écrivain de trente-six ans issu de la classe moyenne milanaise .
Il parut d'abord en feuilleton (...) enfin en volume, toujours à Milan. (...) Il s'en vendit plusieurs milliers d'exemplaires, belle performance pour l'époque ; et il fut traduit au cours des années suivantes dans de nombreux pays- Angleterre,États-unis, Hongrie, Allemagne ou Danemark.
La version française, publiée en 1902 chez Hachette sous le titre " L'Accusateur imprévu " fut bien accueillie.
Le Baron, levant les yeux sur l'imposant spectacle de la nature courroucée, jusqu'à la haute région du tonnerre et des éclairs, se sentit comme un fétu de oaille face à la puissance des éléments.Le sentiment de la fatalité qui façonne et agite les hommes et les choses dissipa, comme une lueur d'éclair, les spectres romantiques de son enfantine superstition.
( p.116)
Peurs
Sous les grands bérets de laine rouge et sous le vernis noir du soleil et du temps, le baron reconnut quelques anciens camarades d'enfance, heureux âge où les jeux nous rendent égaux.
( p.117)
Philippin le chapelier
Une grande foule était rassemblée dans la cour, sous le portail et dans une ruelle voisine, et c' étaient généralement des ouvriers, des poissonniers, des marchands d'eau, des femmes vieilles et jeunes, tous pauvres gens qui attachent le lundi l'espérance à une ficelle et vivent toute la semaine en la touchant avec leur pain sec. L'espérance n'est rien, mais elle donne un bon goût à la nourriture.
( p.75)
Vous avez une villa à Santafusca ?
- Oui.
- Quel style ?
- Seize cent, moitié baroque.
- Très bien ce moitié baroque.Le fond du tableau sera plus théâtral. Villa splenfide, bien entendu.
- Au contraire, ruinée, délabrée...
- Suberbe ! Voilà qui est romantique et fera un bel effet.
( p.184)
Bien qu'un homme ait la valeur d'un lézard il aurait eu répugnance à faire souffrir un homme vivant.On ne peut pas avoir peur des spectres, mais il est des pensées qui font plus peur que les spectres.Penser, voilà le châtiment !
( p.187)
Che cosa era rimasto di tutta questa potenza ? Nulla, anzi meno che nulla, perché "u barone" Coriolano oggi valeva meno di un tronco di statua. Non solo egli era debitore dell'aria che respirava, ma la prigione era sua creditrice.