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Citation de racooninan


Parfois, ce n'était pas mon dessin que je voulais mettre sur le papier, mais le dessin d'un autre. Je copiais. Je copiais Babar ou Ma Dalton. Je n'ai jamais eu très bonne conscience de copier. Ça me culpabilisait. Le dessin inventé était fondé en droit, le dessin copié, illégitime. L'idée était plutôt de copier jusqu'à m'incorporer Lucky Luke, au point de pouvoir le dessiner sans modèle, de me payer l'ivresse de le créer. Mais en copiant, je me confrontais au plus près à la mystérieuse et féérique maîtrise des dessinateurs adultes. Les dessinateurs adultes étaient des Dieux. Ils étaient le Verbe, le Souffle sur les eaux, les Créateurs de toute chose, ceux qui caricaturaient l'homme à leur image. Ils démontraient leur constante supériorité sur le vrai Bon Dieu en créant un univers plus rigolo, plus clair, à meilleure échelle que le sien, à échelle d'étagère et de table de nuit. J'étais religieusement épris des dessinateurs adultes, et je pratiquais la copie aussi comme une action de grâce, pour me rapprocher d'eux, pour m'élever, pour recueillir leur manne. Leurs voies restaient souvent impénétrables. Comment le Dieu Hergé traçait-il si parfaitement l'ellipse d'une roue de voiture ? Comment le Dieu Franquin passait-il avec tant d'aisance d'un plein à un délié ? Comment le Dieu Disney peignait-il cet à-plat jaune si parfait, sans baver, sans nuager, derrière la silhouette de Thomas O'Malley ? Comment le Dieu bicéphale Goscinny-Uderzo rendait-il si bien l'opulence luisante d'un sanglier rôti, au point de me faire monter l'eau à la bouche et vider un paquet de Figolu ? Pas d'explication rationnelle à ces miracles. Il fallait avoir la foi, et basta. La foi, c'était aussi l'espoir qu'au pays des grandes personnes, dans cet empyrée où l'humain, tout soudain, a le droit d'aller au lit après neuf heures du soir, je deviendrais à mon tour un dessinateur adulte, un Dieu.
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