Entretien avec Emmanuel Sabatié, l'auteur du livre " Je ne vous oublie pas" édité au cherche midi.
Un livre qui raconte la fuite d'une famille de harkis, le lendemain de l'indépendance algérienne.
Théo boit un glouc de sa bière et en descend la moitié et monte le son de la télé. Puis finit sa bière en rotant bruyamment et la repose sur la table basse du salon. Il ouvre aussi son paquet de gâteaux, devant lui, et les enfile les uns après les autres en écoutant ce chroniqueur sportif parler de la finale... La finale qui aura lieu dans quelques jours...L'Etoile de Szforinda contre les Galactiques du Berlitz Emirat, la finale de la CLM, la Coupe de la ligue mondiale... Théo y sera. Il est ce weekend de service à l'Etoile Athéna Stadium. Puis la discussion dérape. Un des experts se met à évoquer les menaces récentes du Madj'Allah ou du Maure et la sécurité dans le stade, et quelle sécurité pour l'avenir, et comment encore assurer la finale de la CLM sans risquer un nouveau chaos à Szforinda...
Ta gueule ! dit Théo en se redressant dans son fauteuil. Puis zappe. A nouveau ce film. A la John Ford et les Indiens qui attaquent toujours et Théo qui repose la télécommande. A la télé, n'en reste plus que quelques-uns. Ils résistent à l'assaut. Dernier souffle. Savent tous naturellement qu'ils vont y passer mais même le vieillard tire encore. Même lui, face à eux, trop nombreux. Là, en face. Comme dans Fort Alamo... David Crockett est mort.
Et si les Indiens attaquaient de nouveau...
Le bourreau place la tenaille sur un de ses doigts. Adelkader ne voit rien. Il ne peut pas non plus relever la tête.
Clac ! Et un de ses doigts est à moitié coupé.
Le sang coule. Il asperge le haut du pantalon du bourreau. Puis le bout de chair qui pend par un dernier pan de peau tombe par terre. En touchant le sol, on dirait un plouf qui résonne. C'est le petit doigt qui a été arraché. En faisant bouger ses autres doigts, Abdelkader comprend qu'il lui manque le plus petit. Puis un felouze y met un coup de pied et l'envoie voler dans un coin de la pièce.
Quand les ombres deviennent carnivores et qu’elles ont l’apparence d’une meute de loups. (…) Plus de loups, non, mais autre chose… de plus confus aussi. Comme un vague épaisse avançant lentement avec des mains qui en sortiraient. Des gens empêtrés dedans, noyés, qui s’y enfoncent, à l’intérieur, dans cette vague noire et visqueuse. Une plaque de mazout peut-être, l’abîme est devenu une plaque de mazout nauséabonde et il y a même des odeurs rances et bestiales qui s’en dégagent. Peut-être eux, ils sont revenus, des loups enragés avec la masse des gens noyés, dans cette vague abyssale, un abîme profond et épais qui t’engloutit et te dévore. Des ombres carnivores qui puent.
Les mouettes ont de sales gueules, piaffent, et volent trop bas malgré le soleil déjà couché. Mais elles sont là, dans chaque rade et n'importe quand, à chaque escale de bateau et avec l'espoir d'avoir du poisson à grailler - même du poisson mort. Sales bestioles qui volent bas et qui remplissent le ciel. Abdelkader les regarde comme si elles devenaient soudain des ombres ; sûrement les mêmes qu'il y avait dans le couloir quand on l'a emmené vers la salle de torture. Les ombres qui dansaient sur les parois. Les ombres du diable, ses esclaves et démons...
La bête est en lui. Il la sent. Images en boomerang. Aléas sans fin. Image des ténèbres. Cauchemardesques et brutales. Les cris, la haine et le mort, voilà son mektoub ! Voilà ce que la bête lui montre ! Comme si y avait pas autre chose que l'enfer ! Cette réalité qui pèse lourd et dans laquelle le harki s'enlise... Saloperie de réalité !