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Citation de Charybde2


J’ai entrepris l’écriture de ce livre dans les derniers mois de mon travail pour l’exposition. Contrairement à elle, il a tous les droits. Il peut digresser, s’autoriser des embardées et des accélérations, glisser sur des chefs-d’œuvre et s’attarder sur des textes méconnus. Il est personnel, et j’aimerais qu’il soit comme un sentier cheminant librement entre les œuvres, la vie et les souvenirs. Mais il reste tenu par cette pensée obsédante, et toujours plus grande à mesure que mes lectures se sont accumulées : nous ne savons pas.
Cela m’incite à rester au bord d’une rive d’où je regarderais Giono comme s’il était lui-même une œuvre d’art. Très fragile et ancienne, issue d’un savoir-faire millénaire et qui, si elle venait à être cassée, ne serait pas réparable, même avec des fils d’or. Lui, le personnage principal de ce livre, a des droits que ceux dont je décide du sort, quand j’écris des romans, ne peuvent réclamer. Lorsqu’on s’empare d’un tel sujet, à la fois ample, étrange et familier, il y a donc une ligne de conduite à suivre. Elle consiste en une forme de courtoisie élémentaire non seulement vis-à-vis du fantôme dont on fait le portrait, mais aussi du passé, de l’épaisseur du temps et des époques enfouies d’où il émerge, et qui ne peuvent être saisies qu’imparfaitement. C’est pourquoi je me surprends parfois à souffrir d’une maniaquerie discrète et persistante pourtant assez étrangère à mon caractère. Ne rien reléguer des éclats multiples qui composent la mémoire et font luire le souvenir d’un reflet mouvant. Observer les détails, les traces dérisoires avec autant d’intensité que les morceaux de bravoure.
On ne peut ni tout lire, ni tout dire : savoir qu’on ne saura pas incite à demeurer dans cet état d’alerte qui ne présuppose jamais de rien, et encore moins de ce qu’on croit savoir de ce Giono. Il est comme chacun d’entre nous, fait des plusieurs qu’il a été, eux-mêmes déformés dans le cœur de ceux qui le remémorent. Une chose est sûre, cependant. Il a été cassé, dès le début de la vie adulte, comme tant de garçons de sa génération qui eurent vingt ans en 1915, il y a plus de cent ans. En deux mots : il est lointain, et il est flou.
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