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Citation de Charybde2


Une idée commune voudrait que les écrivains, les poètes, les artistes soient de braves gens tout occupés à notre consolation. C’est une envie de notre époque. Pourquoi pas. Une chose est sûre : ils sont, depuis toujours, tout aussi occupés à bien autre chose. Ils façonnent la glaise du temps avec leurs mains. Ils regardent la mort de face. Ils savent le dérisoire de la vie, pourtant la seule chose qui tienne, et lui redonnent de la grandeur. Ils sont traversés par les choses. Et Giono, comme eux, est traversé par un éclair qui ne peut exister sans l’ombre qu’il vient fendre.
Je ne m’y attendais pas, ayant découvert ses livres à l’école avec un ennui poli et légèrement intrigué. Lorsque je me mis à le relire à l’âge adulte, je pensais retrouver le monsieur en veston, ses moutons, ses oliviers, sa Provence et sa chaleur. Je croyais à tout ce qu’on dit de lui, et qui n’est pas tout à fait vrai. Ma surprise fut à l’image de sa violence à lui : totale. Car chez Giono, au milieu des pages admirables sur la grande nature et les caractères héroïques, les oiseaux geignent avant de chanter. Le sol est asséché, ou inondé, quand il n’étouffe pas sous la neige. Les êtres se vident par le haut, par le bas. Ils assassinent les humains, éventrent les animaux pour sentir la chaleur de leurs entrailles. Ils les égorgent pour tuer leur propre ennui. Ils se pendent. (…) Les femmes déplorent, peinent, sont duplices, violées, suicidées, en fuite, séquestrées. Les enfants souffrent de faim, de maladie ou de difformité, et de mauvais traitements. Les bébés meurent, malades ou empoisonnés, devenus blancs, violets, noirs, l’écume aux lèvres, les yeux démesurés.
Alors, alors seulement surgissent les êtres merveilleux qu’il a semés sur les chemins de son œuvre, ses doubles idéalisés, sorciers, sourciers, ménestrels, musiciens, guérisseurs et aventuriers, comme le si bel Angelo du Hussard sur le toit, courant dans les airs au-dessus de l’épidémie de choléra. Alors seulement peuvent-ils voler sur les dévastations, et tenter leur art de résurrection. Comme l’écrivain arrivé au bout de sa discipline, si l’on admet que la littérature est l’art d’arracher les êtres à la mort pour les catapulter parmi les vivants. Comme le jeune poète dont le cœur palpite dans les ténèbres sans fond d’où remontent les cauchemars translucides et visqueux. Comme le petit soldat qui, « tout sali de sang », a rampé hors de sa tranchée, de son boyau, et s’est mis à écrire des livres hallucinés.
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