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Critiques de Eric Toussaint (15)
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Le système dette

De tous temps, la dette a été utilisée comme moyen de domination, d’asservissement et de spoliation des peuples. Récemment, plusieurs pays d’Amérique latine, la Tunisie, l’Egypte et la Grèce en ont été les dernières victimes. Mais cette dictature de la dette n’est pas inéluctable. En deux siècles plusieurs états ont été capables d’annuler la leur avec succès. Le Mexique, les Etats-Unis, Cuba, le Costa Rica et la Russie soviétique ont procédé à cette répudiation. Quand on sait que nous ne remboursons que les intérêts, qu’il faut en permanence reprendre de nouveaux emprunts pour assurer le remboursement des précédents et qu’au fil des ans, les intérêts accumulés représentent plusieurs fois les sommes empruntées, on en arrive à dénoncer tout un système pervers et même à parler de « dette odieuse » dans certains cas…

« Le système dette » est un essai économique très focalisé sur l’histoire économique des deux derniers siècles. C’est un ouvrage captivant donnant au lecteur toutes les clés pour comprendre cette mécanique implacable mise au point par les banquiers centraux ainsi que l’évolution du monde capitaliste à cette époque, sa dérive de capitalisme entrepreneurial en capitalisme de pure spéculation et prédation. L’auteur s’attache particulièrement aux cas de la Grèce, mise sous tutelle, asservie économiquement plusieurs fois au cours de son histoire, de celui du Mexique avec toutes ses difficultés à briser ses chaînes et de celui de l’URSS avec l’interminable affaire des emprunts russes. Autant le lecteur comprendra bien l’alliance entre banquiers centraux et gouvernements des grandes puissances occidentales (Grande-Bretagne, Etats-Unis, France et dans une moindre mesure Allemagne) dans le but d’étendre leur puissance, d’exploiter les ressources du tiers-monde, et de dominer pour à terme coloniser, autant il reste peu explicite sur les raisons pour lesquelles cette dette s’est généralisée peu à peu au monde entier dès la fin de la seconde guerre mondiale et à partir de 1973 en France (Loi Pompidou-Giscard). Qui menait vraiment l’attelage « banquier-politicien » ? L’ouvrage se termine sur un grand tableau récapitulatif de tous les pays ayant rejeté d’une manière ou d’une autre ces dettes « odieuses ». L’auteur, brillant économiste belge favorable à l’effacement total de la dette du tiers-monde, ne va pas jusqu’à envisager l’éventualité d’une répudiation plus générale…
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Le système dette

Nous ne sommes pas lié-e-s par les traités signés et les dettes souscrites contre nos intérêts



Je commence par souligner trois éléments. Les dettes et les politiques de la dette ne peuvent pas être analysées sans prendre en compte l’histoire et le fonctionnement même du système capitaliste. Depuis le début du XIXème siècle, « la dette a été utilisée comme une arme de domination et de spoliation ». Les différents contextes expliquent des spécificités, colonisation, rôle de l’Etat, commerce international, chaine de valeur productive, place du capital fictif, etc. Et contrairement aux idées colportées, « ce ne sont généralement pas les pays endettés périphériques qui provoquent les crises de la dette souveraine ». Il faut en rechercher les causes dans les contradictions et les modes de régulation du capitalisme.



Ce livre approfondit les réflexions menées par Eric Toussaint et le CADTM. Pas simplement un livre de plus, mais des approches complémentaires et des exemples historiques, en particulier sur les conflits autour du paiement de la dette, la doctrine juridique de la dette odieuse, les répudiations de dettes souveraines.



Dans une courte préface, Patrick Saurin aborde, entre autres, les rapport Nord / Sud emblématiques de la « logique consubstantielle au système capitaliste et à sa volonté de développement, d’extension et de domination », les dettes publiques comme rouage essentiel du capitalisme, l’apport du « prisme » de la dette pour saisir « l’histoire agitée des nations, leurs rapports compliqués et surtout la logique qui préside à ces relations ».



Il souligne un élément conclusif d’Eric Toussaint : « Si les dettes publiques sont un prisme très fécond à travers lequel se dessine la réalité des rapports entre les États, entre la finance capitaliste et les peuples, entre les classes sociales, l’auteur souligne justement à la fin de son étude : « il ne suffit pas de répudier des dettes odieuses pour apporter une solution aux problèmes multiples de la société. Il n’y a aucun doute là-dessus. Pour que la répudiation des dettes soit réellement utile, il faut qu’elle fasse partie d’un ensemble cohérent de mesures politiques, économiques, culturelles et sociales qui permettent de faire la transition vers une société libérée des différentes formes d’oppression et d’exploitation. »



Plan du livre :



Comment le Sud a payé pour les crises du Nord et pour sa propre soumission



La dette et le libre-échange comme instruments de subordination de l’Amérique latine depuis l’indépendance



Le Mexique a répudié la dette au 19e siècle



La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse



La poursuite de la domination de la Grèce grâce à la dette



La dette comme instrument de la conquête coloniale de l’Égypte



La dette : l’arme qui a permis à la France de s’approprier la Tunisie



Alexandre Nahum Sack et les dettes souveraines



La dette odieuse selon Sack et selon le CADTM



Les répudiations de dettes entre 1830 et les années 1920



La victoire du Mexique face à ses créanciers (1914 – 1942)



La répudiation des dettes par les soviets



Je commence par une sorte de détour du coté du Japon. Eric Toussaint indique que « le Japon n’a pratiquement pas eu recours à l’endettement extérieur pour réaliser un important développement économique et se transformer en une puissance capitaliste impérialiste dans la deuxième moitié du 19e siècle », contrairement aux autres pays périphériques par rapport aux principales grandes puissances capitalistes européennes. Cas particulier, encore aujourd’hui. La dette colossale de ce pays n’est jamais critiquée car elle est essentiellement financée sur le marché domestique. A l’inverse, les histoires mexicaine, grecque, égyptienne, tunisienne, etc. montrent que l’endettement extérieur et le développement autonome ne font pas bon ménage…



Un second pas du coté des mathématiques, des montages des prêts. Un Etat emprunte une somme. Des titres sont émis par les banques préteuses sur les marchés financiers. Ces titres seront à rembourser à leur valeur faciale par les pays emprunteurs alors que les créanciers les ont souscrit à moindre prix – décote – (ce qui, par ailleurs, augmente automatiquement le taux d’intérêt réel servi), sans oublier les commissions des émetteurs. Les montants de la dette à rembourser sont donc largement supérieurs aux sommes réellement parvenues dans les pays emprunteurs. Et lorsque des prêts sont souscrits pour rembourser des anciennes dettes (emprunts et intérêts cumulés), les prêts servent à rembourser des créanciers et non à financer les besoins d’investissement des pays emprunteurs. La politique sous forme de mathématiques et de grand banditisme…



Sans volonté d’exhaustivité, je voudrais souligner certains points des analyses d’Eric Toussaint.



Il convient d’aborder la dette comme un des éléments de fonctionnement du système capitalisme. Rien n’est compréhensible si la narration isole la dette des mécanismes d’accumulation du capital et de la production marchande. De ce point de vue, les « crises de la dette » peuvent être mises en relation avec les « ondes longues de l’économie capitaliste internationale » (En complément possible, Ernest Mandel : Les ondes longues du développement capitaliste. Une interprétation marxiste). Aux phases d’expansion économique et d’accumulation de dettes, succèdent celles des retournements de croissance débouchant le plus souvent sur des crises de la dette dans les pays de la périphérie… et des possibles difficultés pour les institutions bancaires créancières dans les pays du centre. Des possibles car les réelles sommes en jeu ne sont pas celles annoncées, le risque pris par les établissements a été largement rémunéré, l’objet des crédits souvent très discutables et profitant largement aux industries du centre et non aux pays de la périphérie. Sans oublier que la transformation d’éventuelles difficultés des banques et de leurs actionnaires en dettes souveraines, par une socialisation étatique des pertes, relève d’un choix politique au seul avantage des actionnaires…



Eric Toussaint analyse la combinaison du recours à l’endettement extérieur et de l’adoption du libre-échange – élément principal de la nouvelle subordination de l’Amérique latine à partir du 19e siècle ; la crise dans la principale place financière de l’époque, Londres ; la crise de la dette latino-américaine comme un produit des politiques des banquiers européens.



Il présente l’abc des emprunts et explique les différents points de vue : ceux des détenteurs de titres, des banques émettrices à la bourse de Londres, des Etats emprunteurs, des classes dominantes locales, des gouvernements… Emprunt pour éviter de recourir à l’imposition des plus fortunés, emprunt pour acheter des armes, emprunt et corruption, emprunt et politique de libre-échange. « D’une certaine manière, on peut dire que la combinaison du recours à l’endettement extérieur et de l’adoption du libre-échange constitue le facteur fondamental du « développement du sous-développement » en Amérique latine ».



L’auteur traite des répudiation de dettes au Mexique, de l’histoire longue des relations financières, de l’occupation française, des politiques des différents régimes, d’un calcul édifiant entre 1883 et 1911, « En résumé, le Mexique a remboursé deux fois ce qu’il devait et se retrouve presque six fois plus endetté », des privatisations dans le domaine agraire, des subventions aux capitalistes propriétaires de chemins de fer…



Naissance de l’Etat grec moderne. Des prêts au gouvernement provisoire, déjà une troïka (Royaume-Uni, France, Russie), un mémorandum imposé en 1843, une restructuration de la dette et une très bonne affaire pour les créanciers, un déficit budgétaire chronique causé par le remboursement de la dette…



Une nouvelle phase d’expansion capitaliste, l’exportation massive de capitaux sous forme de prêts ou d’investissements, « Il s’agissait aussi pour le grand capital des pays dominants de trouver des placements intéressants car le système capitaliste passait par une nouvelle phase d’expansion : l’exportation massive de capitaux afin de réaliser des prêts ou des investissements dans les pays de la Périphérie. C’est le début de la phase « impérialiste » du capitalisme mondial », des restructurations de dettes sur la période 1878-1890, la mise sous tutelle de la Grèce et rôle de la Commission financière internationale (CFI)…



Egypte, la dette comme instrument de conquête coloniale, suspension de paiement, Caisse de la dette publique sous tutelle britannique et française, occupation militaire de l’Égypte à partir de 1882 et sa transformation en protectorat…



Tunisie. La dette et l’appropriation de la Tunisie par la France, les flux des emprunts et les restructurations, une dette odieuse, les intérêts des uns et des autres, « Comme dans la grande majorité des pays, les classes dominantes locales sont solidaires des créanciers internationaux car elles tirent elles-mêmes une partie de leurs revenus du remboursement de la dette. C’était vrai au 19e siècle et c’est toujours le cas au 21e siècle »…



Je souligne particulièrement les chapitres 8 « Alexandre Nahum Sack et les dettes souveraines » et 9 « La dette odieuse selon Sack et selon le CADTM ». Eric Toussaint présente les positions d’Alexandre Nahum Sack, « Son but principal n’était pas de mettre de l’éthique ou de la morale dans la finance internationale. Son but était de renforcer l’ordre international tel qu’il existait, d’assurer la continuité du paiement des dettes et donc de permettre aux créanciers de recouvrer leurs créances », la continuité des obligations de l’Etat à l’égard des créanciers – même en cas de changement de régime, d’annexion, de division ou de révolution -, « les droits des créanciers privés doivent primer sur ceux de la nation », la non-validité des dettes lorsque celles-ci sont odieuses, la distinction entre la nature de la dette et la nature du gouvernement, les débats sur ces sujets, les yeux fermés sur les comportements abusifs et frauduleux des banquiers, et la proposition d’annulation de certaines dettes odieuses : « Malgré son parti pris en faveur des créanciers, Sack considère que dans des cas exceptionnels des dettes peuvent être annulées. Selon lui, les créanciers devront accepter l’annulation de certaines dettes s’il est démontré que le gouvernement qui les a contractées comptait les utiliser contre les intérêts de la nation. Ce juriste a donc été amené à préciser qu’il y a une exception importante à la sacro-sainte règle de la continuité du remboursement de la dette et aux droits des créanciers privés : à savoir que, dans certaines circonstances, les créanciers devront accepter l’annulation de leurs créances si l’on démontre que la dette est odieuse. Il accepte aussi deux points fondamentaux sur lesquels nous reviendrons plus loin : lorsqu’il y a présomption de dettes odieuses, c’est aux créanciers de démontrer leur bonne foi, et s’ils n’y arrivent pas, leurs actes pourront être considérés comme hostiles à la nation ». Pour cet auteur ce qui compte uniquement c’est « l’utilisation qui est faite des dettes et la connaissance qu’en avaient les préteurs ».



Eric Toussaint propose de garder certains éléments opératoires de la « doctrine Sack », d’intégrer des éléments issus des conquêtes sociales et démocratiques ou « la responsabilité des créanciers parce qu’ils sont régulièrement à l’origine des violations de traités et des autres instruments internationaux de protection des droits »…



L’auteur poursuit avec des exemples de répudiation de dettes entre 1830 et les années 1920, Portugal, Etats-Unis, Pérou, dette que l’Espagne réclamait à Cuba (par les USA), Costa Rica… Il présente les arguments du président Taft (USA) sur les cas de Cuba et du Costa Rica et ce que nous pouvons en déduire pour la Grèce, l’Argentine, la Tunisie… en particulier sur les violations des constitutions.



Le chapitre 11 est consacré à l’histoire peu connue de la victoire du Mexique face à ses créanciers, « Elle démontre que la lutte déterminée d’un pays dominé face aux grandes puissances et à la finance internationale peut conduire à d’importants progrès sociaux ». Négociation sur la dette, réforme agraire, nationalisation des chemins de fer et du pétrole…



Le livre se termine par un indispensable chapitre sur la révolution des soviets, la répudiation des dettes, les traités avec les républiques baltes (dont la restitution des biens accaparés par le régime tsariste et l’annulation des dettes), la Pologne (dont la décharge de toute responsabilité concernant les dettes contractées en son nom pour l’empire tsariste), la Perse et la Turquie, les emprunts russes, les négociations de Gênes et les exigences occidentales, la contre-attaque du gouvernement des soviets avec le traité de Rapallo, les suites jusqu’à la nuit stalinienne…



En conclusion, Eric Toussaint revient, entre autres, sur les conditions abusives des émissions d’emprunts, le rôle des banques dans les crises financières, la place des accords de libre-échange, les liens entre dette externe et dette interne, le caractère odieux et illégitime d’une grande partie des contrats d’emprunts…



Aux histoires écrites par les créanciers et leurs soutiens étatiques, un livre qui revient sur l’histoire des constructions des dettes, sur des refus de les honorer (curieuse expression !), sur la notion de dette odieuse, sur des dettes non payées (répudiées !), sur les possibles en rupture avec un système de spoliation et de subordination.
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Procès d’un homme exemplaire

Au delà des individus, un système et des institutions leur permettant d’agir et les encourageant à le faire



FMI et Banque mondiale ou l’immunité pré-construite des « hommes exemplaires ». Comme l’indiquent, en introduction, Pauline Imbach et Damien Millet : « Les grands médias font la part belle à ces deux institutions. Impossible de les critiquer, de remettre en cause leur action, encore moins leur existence. Tout se passe comme si elles faisaient partie d’une autre dimension, où leurs échecs répétés et les graves dégâts qu’elles provoquent ne peuvent leur être imputés. Elles jouissent d’une légitimité intrinsèque et sans limite. Jamais leurs dirigeants ne sont poursuivis en justice car ils bénéficient d’une immunité pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis leur création en 1944, la Banque mondiale et le FMI n’ont fait l’objet d’aucun procès malgré des violations répétées des droits humains ».



Des conséquences désastreuses pour les populations de leurs décisions (Aminata Traoré dans sa préface écrit : « Les potions du FMI et de la Banque mondiale ne sont pas seulement amères, elles sont souvent mortelles ») : non responsables par définition ; des conflits d’intérêts : non concernés par définition ; des soutiens aux violations des droits des êtres humains : non coupables par définition ; des montages de dettes illégitimes ou odieuses : non responsables par définition, etc…



Eric Toussaint nous présente le parcours édifiant d’un de ces hommes exemplaires : Jacques de Groote.



Au delà du parcours détaillé, de la longue liste des faits dans lesquels est impliqué le personnage, l’auteur fait aussi un rappel sur le droit international et les dettes contractées dans le cadre de la colonisation, et plus généralement sur les dettes illégitimes et odieuses. Dans sa postface, Jean Ziegler indique sur ce sujet : « La dette extérieure constitue une arme de destruction massive. Elle soumet les peuples, détruit leurs velléités d’indépendance, assure la permanence de la domination planétaire des oligarchies du capital financier » et « Le garrot de la dette extérieure empêche les pays les plus démunis de réaliser les investissements minima dont leur agriculture a urgemment besoin ». Éric Toussaint revient aussi sur les financements du gouvernement rwandais avant le génocide des Tutsis, ou supposés tels, et de nombre d’Hutus opposants : « Dans ce contexte, il est fondamental de s’interroger sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux. Tout laisse penser que les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide. Généralement, l’incidence négative de ces politiques n’est pas prise en considération pour expliquer le dénouement dramatique de la crise rwandaise. Seuls quelques auteurs mettent en évidence la responsabilité des institutions de Bretton Woods, qui refusent toute critique à ce sujet ».



Un court aperçu des choix de ces institutions, et du rôle de Jacques de Groote, en soulignant l’absence de tout contrôle démocratique et l’irresponsabilité pénale attribuée : « soutien de la BM et du FMI à la politique spoliatrice des puissances coloniales jusqu’aux indépendances, et ce en flagrante contradiction avec la charte des Nations Unies, de Groote y participe du côté de la Belgique qui domine le Congo « belge » jusqu’en juin 1960 ; déstabilisation et écartement de Patrice Lumumba (la Belgique est impliquée dans l’assassinat de l’ancien premier ministre congolais en janvier 1961) ; soutien à la dictature de Mobutu des années 1960 jusqu’au début des années 1990, de Groote a conseillé Mobutu et son gouvernement ; soutien de la BM et du FMI au régime du général Habyarimana au Rwanda des années 1980 au début des années 1990, de Groote a conseillé le gouvernement rwandais ; rappelons que les dictatures de Mobutu et d’Habyarimana ont été coupables de violations systématiques des droits humains et de crimes contre l’humanité. La liste doit être complétée : application systématique de l’agenda néolibéral avec la généralisation des politiques d’ajustement structurel afin notamment de rembourser une dette odieuse et/ou illégitime, et de mieux ouvrir les économies des pays endettés aux intérêts des grandes sociétés privées transnationales, de Groote y participe en tant que directeur exécutif à la BM entre 1975 et 1991 et au FMI entre 1973 et 1994 ; vaste programme de privatisations dicté par le FMI et la Banque mondiale qui a bénéficié à une poignée d’individus et à quelques grandes entreprises privées, les privatisations ont été souvent liées à des fraudes et à des escroqueries comme le dénonce la justice suisse dans le cas de la privatisation de la mine MUS. S’ajoute dans le cas de Jacques de Groote un conflit d’intérêt manifeste car alors qu’il était encore directeur exécutif du FMI, il a perçu d’importantes sommes pour les aides qu’il a apportées au secteur privé. Il faut relever que le FMI et la Banque mondiale n’ont décidé aucune sanction, aucune mesure pour faire face à ce conflit d’intérêt, la Belgique, représentée par de Groote dans ces institutions, non plus ».



En attendant la sentence judiciaire en Suisse contre Jacques de Groote, un livre très utile, à lire et faire connaître. Et au delà de la personne, des personnes, il convient de faire le procès public des deux institutions, de leurs dirigeants et de leurs donneurs d’ordres. « Dans cette affaire la cupidité se mêle, de manière révoltante, à la violation des droits humains fondamentaux. Les institutions responsables restent jusqu’ici intouchables et leurs dirigeants croient bénéficier d’une impunité scandaleuse. Il est grand temps d’y mettre fin ! Il faut donc obtenir à la fois que les fonctionnaires du FMI et de la BM soient redevables devant la justice pour les actes posés dans l’exercice de leurs fonctions et que les institutions en tant que telles rendent compte devant la justice pour les multiples violations des droits humains auxquelles elles se sont livrées, et continuent de se livrer, au Nord comme au Sud. »



Très belle postface de Jean Ziegler.
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65 questions, 65 réponses sur la dette, le FM..

Depuis la crise financière de 2008, il ne reste plus que la toute petite poignée de ceux qui profitent de plus en plus du capitalisme, les oligarques, les ploutocrates, et l’immense majorité qui le subit, surtout au travers du mécanisme diabolique de la dette. Mais si on efface la dette des pays en voie de développement, les régimes dictatoriaux et corrompus ne vont-ils pas s’en trouver renforcés ? Les contribuables des pays développés ne vont-ils pas en faire les frais ? Comment vont se comporter, la Chine, les fonds vautours et les fonds souverains ? Si cette annulation est une condition nécessaire au redémarrage des économies, elle ne sera pas suffisante. Il faudra envisager bien d’autres mesures. Le tiers monde a déjà remboursé l’équivalent de 110 fois ce qu’il devait en 1970, mais entre temps la dette a été multipliée par 50 en raison de la hausse des taux d’intérêt et des nouveaux emprunts destinés à rembourser les premiers. Un parfait cercle vicieux !

Cet ouvrage très bien documenté et sourcé est un essai économique de belle qualité et d’un abord relativement facile de par la clarté du discours et de par la présentation sous forme de questions et réponses. Il pose tout le problème du développement et celui du rôle délétère et même létal du FMI et de la Banque mondiale, qui sous prétexte d’aider ces pays, ne font qu’aggraver la pauvreté et l’asservissement des peuples. (Casse sociale, émeute de la faim, paupérisation, 2,6 milliards d’êtres humains vivant avec moins de 2 dollars par jour !). En lisant cet ouvrage, bien des thématiques se découvrent sous une autre lumière : crise des subprimes, pillage des ressources du tiers-monde, monoculture et surproduction, baisse des cours des produits agricoles et des matières premières. La dette cumulée au Nord représente environ 40 000 milliards de dollars, celle du Sud 326 milliards et même seulement 80 après re-calcul et décote. Le propos aurait été incomplet s’il s’était cantonné aux pays du Sud. Il propose aussi des solutions générales avec de simples aménagements pour le Nord, ce qui semble certainement insuffisant pour une réelle libération du joug des 1% de ploutocrates qui ne font que s’enrichir de manière monstrueuse alors que les 99% s’appauvrissent inexorablement. Ouvrage fort intéressant qui cible le problème majeur de la mondialisation.
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Banque mondiale, le Coup d’état permanent – l..

Dans ce livre très documenté, Éric Toussaint décrypte l’ensemble des actions de la Banque Mondiale (BM) depuis sa création. Cette institution, véritable bras armé financier des puissances capitalistes dominantes, et en particulier des États Unis d’Amérique, préconise et met en place des politiques qui reproduisent la pauvreté au lieu de la combattre. Par ailleurs, la BM comme le Fonds monétaire international (FMI) ont systématiquement soutenu les dictatures et les politiques qu’elles mènent constituent très souvent des violations des droits humains fondamentaux.



L’auteur adopte une démarche chronologique pour analyser, documents internes et publics à l’appui, la Banque mondiale. Il détaille les textes, les actions en multipliant les exemples géographiques des interventions (Philippines, Turquie, Indonésie, Corée du sud et Mexique entre autres).



Tout en rappelant que le respect des droits humains ne fait pas partie de ce que la banque considère comme sa mission, il souligne le caractère odieux de la dette souscrite par les dictatures et qui continue à un être un fardeau pour les peuples. L’auteur insiste sur les violations implicites du droit international par la BM (par exemple : soutien au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud), sur le poids de l’idéologie néolibérale et ses conséquences antisociales. Il étudie tout particulièrement les processus d’endettement et les politiques d’ajustement structurel.



A propos de la dette, Éric Toussaint nous rappelle deux traitements historiques sur les dettes historiques de la Pologne (1919) et de l’Allemagne (1953).



« Lors de la reconstitution de la Pologne en tant qu’Etat indépendant après la première guerre mondiale, il a été décidé que les dettes contractées par l’Allemagne pour coloniser la partie de la Pologne qu’elle avait soumise ne seraient pas à charge du nouvel État indépendant » Hors cette stipulation du Traité de Versailles devrait être la base de l’annulation de la dette contractée par les pays colonisateurs dans les pays ex-colonisés.



L’accord de Londres sur la dette allemande par quelques unes de ses clauses montrent ce que pourrait être une autre politique :



Part des revenus d’exportation, consacrés au remboursement de la dette, limitée à 5%. En 2004 les pays en développement ont du consacrer en moyenne 12,5% de leurs revenus d’exportation au service du paiement de la dette (20% pour les pays d’Amérique latine) ;

Taux d’intérêts applicables oscillant entre 0 et 5% alors que les taux applicables aujourd’hui sont des taux variables à la hausse ;

L’Allemagne a été autorisé à rembourser la dette extérieure en monnaie nationale. Tous les grands pays endettés doivent rembourser la leur en devises fortes (USD, Euros, Yens, Francs suisses ou livres sterling) ;

L’accord prévoyait que l’Allemagne puisse produire sur place ce qu’elle importait antérieurement, La BM impose aux pays en voie de développement à renoncer à produire sur place ce qu’il pourraient importer. Etc…

Outre l’exposition de la réalité des actions menées par la Banque Mondiale, de la nature des flux financiers entre périphérie et centre, c’est ouvrage est important par au moins deux dimensions traitées :



le caractère criminel et donc la possible sanction juridique des activités décrites tout en maintenant le cap sur l’annulation de la dette et l’abolition de la Banque Mondiale et du FMI ;

la réalité de l’organisation proto-étatique du capitalisme mondial, loin des sornettes sur le libre marché et le trop d’état des néo-libéraux.

Un ouvrage de recherche scientifique sous-tendu par un projet politique d’émancipation humaine.
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Banque mondiale : Une histoire critique

Une négation des droits humains, de la démocratie et de la crise environnementale



La préface de Gibert Achcar et l’avant-propos d’Eric Toussaint sont – à plus d’un titre passionnants.



Gilbert Achcar aborde, entre autres, les liens entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et l’ordre économique international, « C’est que ces deux institutions financières intergouvernementales – les deux principaux piliers de l’ordre économique international instauré après la Deuxième Guerre mondiale sous la domination des États-Unis d’Amérique, comme en témoigne si limpidement le fait qu’elles ont toutes deux leur siège à Washington – ont été les vecteurs privilégiés de l’extension au Sud planétaire de la mutation néolibérale du système capitaliste », la privatisation des entreprises d’Etat comme mesure clé de la mutation néolibérale, la précarisation du travail, le principe sacro-saint de la réduction drastique des déficits budgétaires « qui entraîne nécessairement la réduction des dépenses sociales et des investissements publics, quelles que soient par ailleurs les recommandations hypocrites des institutions financières internationales en faveur des dépenses pour l’éducation et la santé », les activités prédatrices, les gouvernements despotiques, la dette comme levier du nouvel ordre néolibéral, les politiques dites d’« ajustement structurel »…



Le préfacier souligne que ce livre est « exempt du jargon coutumier des publications technocratiques ou académiques qui rend leur lecture inaccessible à la très grande majorité des personnes affectées par les sujets dont elles traitent » et qu’il s’adresse donc à toustes et « non aux membres de l’élite du pouvoir économique mondial ».



Le choix du titre de l’avant-propos d’Eric Toussaint donne le ton : « Le coup d’État permanent de la Banque mondiale ». L’auteur commence par donner la liste des gouvernements issus de coups d’État militaires et soutenus par la Banque mondiale », « Parmi les exemples les plus connus, citons la dictature du Shah d’Iran après le renversement du Premier ministre Mossadegh en 1953, la dictature militaire au Guatemala mise en place par les États-Unis après le renversement en 1954 du gouvernement progressiste du président démocratiquement élu Jacobo Arbenz, celle des Duvalier en Haïti à partir de 1957, la dictature du général Park Chung-hee en Corée du Sud à partir de 1961, la dictature des généraux brésiliens à partir de 1964, celle de Mobutu au Congo et de Suharto en Indonésie à partir de 1965, celle des militaires en Thaïlande à partir de 1966, celle de Idi Amin Dada en Ouganda et du général Hugo Banzer en Bolivie en 1971, celle de Ferdinand Marcos aux Philippines à partir de 1972, celle d’Augusto Pinochet au Chili, celle des généraux uruguayens et celle de Habyarimana au Rwanda à partir de 1973, la junte militaire argentine à partir de 1976, le régime d’Arap Moi au Kenya à partir de 1978, la dictature au Pakistan à partir de 1978, le coup d’État de Saddam Hussein en 1979 et la dictature militaire turque à partir de 1980, celle de Ben Ali en Tunisie de 1987 à 2011, celle de Moubarak en Égypte de 1981 à 2011 et, au Tchad, celle d’Idris Déby de 1990 jusqu’au jour de sa mort le 20 avril 2021.



Parmi les autres dictatures soutenues par la Banque mondiale, notons encore celle des Somoza au Nicaragua jusqu’à son renversement en 1979 et celle de Ceausescu en Roumanie.



Certaines sont encore en place au moment où ces lignes sont écrites, celle de Sissi en Égypte, et tant d’autres…



Il faut aussi rappeler le soutien aux dictatures en Europe : Franco en Espagne, Salazar au Portugal. »



Dit autrement, la Banque mondiale a soutenu méthodiquement des régimes despotiques, menant des politiques antisociales et commettant des crimes contre l’humanité et des violations massives des droits humains. L’institution ne respecte ni normes constitutionnelles des différents Etats, ni les traités internationaux, ni les droits humains, ni les résolutions de l’Assemblé générale des Nations-unies. Des broutilles en somme en regard du développement des affaires, du commerce, du profit… sans oublier que ces violations du droit international se font aujourd’hui en toute impunité.



Eric Toussaint explique comment les dettes contractées et les « aides financières » se sont transformées en fardeau pour les peuples, la force du joug de la dette et de l’ajustement structurel permanent, l’agenda caché du « consensus de Washington », l’intensification du modèle productiviste et extractiviste, les interventions sur les privatisations, « L’agenda caché, celui qui est appliqué en réalité, vise la soumission des sphères publique et privée de toutes les sociétés humaines à la logique de la recherche du profit maximum dans le cadre du capitalisme ». Il souligne un des nombreux paradoxe de l’agenda caché, « c’est qu’au nom de la fin de la dictature de l’État et de la libération des forces du marché, les gouvernements alliés aux transnationales utilisent l’action coercitive d’institutions publiques multilatérales (Banque mondiale-FMI-OMC) pour imposer leur modèle aux peuples »…

L’auteur propos de rompre avec le « consensus de Washington », de mettre « radicalement en cause le concept de développement étroitement lié au modèle productiviste », de briser la spirale infernale de la dette, de rompre avec les discours sur l’endettement (« Les pays en développement pris ensemble sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés »), d’abolir ou de répudier des dettes odieuses ou illégitimes, de recourir à des emprunts légitimes et de financer les services publics par des impôts justes socialement, d’appliquer un ensemble de politiques rompant avec le néolibéralisme, de sortir du cycle « infernal » de l’endettement, de réparer le pillage multiséculaire, d’abolir la Banque mondiale et le FMI et de construire des institutions multilatérales controlées démocratiquement, de reconstruire des services de santé publics pour toustes, d’investir immédiatement pour vaincre les maladies endémiques et assurer la sécurité alimentaire ou l’accès à l’eau potable…



Les derniers paragraphes abordent la suspension immédiate du paiement des dettes publiques combinée à un audit à participation citoyenne afin d’annuler la partie illégitime, « La suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit être combinée à un audit à participation citoyenne afin d’en identifier la partie illégitime et l’annuler.



Une chose doit être claire : si l’on recherche l’émancipation des peuples et la pleine satisfaction des droits humains, les nouvelles institutions financières et monétaires tant régionales que mondiales doivent être au service d’un projet de société en rupture avec le néolibéralisme, l’extractivisme, le productivisme, et pour tout dire, le capitalisme.



Il faut contribuer autant que possible à ce qu’un nouveau puissant mouvement social et politique soit capable d’aider à la convergence des luttes sociales et de contribuer à l’élaboration d’un programme de rupture avec le capitalisme en mettant en avant des solutions anticapitalistes, antiracistes, écologistes, féministes, internationalistes et socialistes.



Il est fondamental d’agir pour la socialisation des banques avec expropriation des grands actionnaires, pour la suspension du paiement de la dette publique le temps de réaliser un audit à participation citoyenne en vue de répudier la partie illégitime de la dette, pour l’imposition d’un impôt de crise très élevé sur les plus riches, pour l’annulation des dettes réclamées de manière illégitime aux classes populaires (dettes étudiantes, dettes hypothécaires abusives, microcrédits abusifs…), pour la fermeture des bourses de valeur qui sont des lieux de spéculation, pour la réduction radicale du temps de travail (avec maintien des salaires et embauche compensatoire) afin de créer un grand nombre d’emplois socialement utiles, pour l’augmentation radicale des dépenses publiques de santé et d’éducation, pour la socialisation des entreprises pharmaceutiques et du secteur de l’énergie, pour la relocalisation d’un maximum de production et le développement des circuits courts et toute une série d’autres demandes essentielles ».



Je me suis attardé sur ces deux textes. La lecture de l’ensemble du livre n’en reste pas moins indispensable pour comprendre les choix politiques de ceux qui président au fonctionnement et aux actions de la Banque mondiale. Et si le crime comme la violence ne sont pas réductibles aux définitions construites par des tenants d’un ordre intrinsèquement violent et criminel, nous pourrions caractériser ces « responsables » comme des criminels en bande organisée.



Même si vous connaissez les textes de l’auteur sur ce sujet, même si vous êtes un peu perdu·es face à plus de 500 pages, prenez le temps de suivre Eric Toussaint dans les présentations et analyses. Car il faut savoir pour comprendre, comprendre pour dénoncer et agir.



L’auteur commence par expliquer la terminologie utilisée. Il présente successivement les origines des institutions de Bretton Woods, les débuts de la Banque mondiale (1946-1962), les relations entre l’Organisation des Nations Unies (ONU) et la Banque mondiale, le contexte de l’après seconde guerre mondiale, le plan Marshall, l’offre d’argent plutôt que le prêt, l’accord de Londres sur la dette allemande, une comparaison entre les conditions de cette dette et les conditionnalités des dettes réservées aux autres pays, l’influence du gouvernement des USA sur la Banque mondiale – dont un droit de veto toujours existant malgré les modifications des intervenants dans cet organisme qui ne peut être réduit à une institution financière – et des exemples de cette influence dans des cas précis (Nicaragua, Guatemala, Yougoslavie, Chili, Vietnam) ou des exemples en matière de « prêts sectoriels (barrage d’Assouan en Egypte, occupation et « reconstruction » de l’Irak).



Je souligne le chapitre sur le soutien de la Banque mondiale et du FMI aux dictatures pour « endiguer le développement de mouvements remettant en cause la domination exercée par les grandes puissances capitalistes », contrôler les institutions politiques locales et intervenir sur les choix économico-sociaux, l’orthodoxie monétariste à géométrie variable « les variations dépendent bien de facteurs politiques et géostratégiques ». Quelques exemples, le soutien à la dictature du général Augusto Pinochet au Chili, à la junte militaire après le renversement du président Joao Goulart au Brésil, à la dictature d’Anastasio Somoza au Nicaragua (et à l’arrêt des prêts après la victoire des sandinistes), à la dictature de Mobutu Sese Seko au Zaïre, à la dictature de Nicolae Ceausecu en Roumanie ; des aides à des régimes dont la politique économique « ne répondait pourtant pas aux critères officiels des institutions financières internationales et alors qu’ils ne respectaient pas les droits humains »…



Des chapitres particuliers sont consacrés aux Philippines, à la Turquie, à l’Indonésie, aux bricolages à vocation théorique de la Banque mondiale en matière de développement, à la vision conservatrice et ethnocentrique du monde, au soi-disant effet de ruissellement, au choix du développement des inégalités, à la Corée du Sud et au « miracle » démasqué, aux pièges de l’endettement, à la réalité des flux financiers, à la crise de la dette, à la dette mexicaine, au rôle d’huissier des créanciers de la Banque mondiale, aux inflexions des politiques, au Rwanda et aux créanciers du génocide des populations Tutsis, à la « réduction de la pauvreté », aux débats au début des années 2000, à la poursuite de l’ajustement structurel, au Sri Lanka, à l’Equateur, à Haïti, à l’Afrique subsaharienne, à la crise écologique, au Mozambique et au projet d’exploitation de gaz naturel, au Suriname, à Paul Wolfowitz – un des architectes de l’invasion de l’Irak, aux mensonges créés de toutes pièces, etc.



Le chapitre sur les avancées et les limites des résistances en Equateur me paraît particulièrement important.



Eric Toussaint analyse les « inflexions » des politiques de la Banque mondiale, les hommes du président (USA), la détérioration des systèmes de santé (le remboursement de la dette est privilégié à la construction de services publics), les nouveaux mots et la poursuite des maux, les effets de la pandémie, le mépris pour les droits humains, la Banque mondiale comme une « zone de droit », la poursuite des politiques dans le monde arabe (en dépit et en réaction aux soulèvements populaires), la farce de la « prise en compte du genre » et l’appauvrissement des femmes (chapitre rédigé par Camille Bruneau).



« un droit passe avant tout : le droit individuel de propriété privée ». Le monde de la Banque mondiale est en effet celui de la propriété privée (Il serait plus juste de parler de propriété privée lucrative) et non les droits collectifs des populations et des individu·es. Les politiques d’ajustement structurel ne respectent pas les droits humains, qui restent subordonnés à l’application dogmatique des programmes. La Commission des droits de l’homme de l’ONU le souligne aussi. Il est nécessaire de montrer les liens étroits entre « la violation massive des droits économiques, sociaux et culturels et la violation massive des droits civils et politiques ». Eric Toussaint argumente autour des responsabilités et du mensonge de l’immunité auto-attribuée, « ces institutions agissent comme si elles n’étaient redevables d’aucune obligation internationale, si ce n’est celles liées aux accords commerciaux ou aux accords sur les investissements ». Comme il le souligne que « Cette prétention de dé-responsabilisation est irrecevable en droit international », la Banque mondiale ne peut sérieusement « argumenter qu’elle est exemptée de respecter les obligations internationales, spécialement les règles de protection des droits humains ». Des obligations issues de la Déclaration universelle des Droits humains, auxquelles s’ajoutent des textes de Nations-Unies et des institutions spécialisées. « Les textes principaux des Nations unies visent aussi bien les droits individuels que les droits collectifs, le droit au développement que le droit à la souveraineté politique et économiques des Etats. En fait, la Banque mondiale, mais aussi le FMI, l’OMC, les sociétés transnationales n’ont jamais accepté d’y être soumis ». Ces institutions se drapent pourtant d’une terrifiante impunité, illégale en regard du droit international (quelque soit par ailleurs ses limites). Ne pas reconnaître la force des droits humains est une caractéristique des regroupements réactionnaires et antidémocratiques, des groupes mafieux, des bandes armées, des criminels en bande organisée. « Les IFI doivent intégrer l’obligation de respect des droits humains dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques : aucun sujet de droit international ne peut se soustraire à ces obligations en invoquant l’absence de mandat explicite ou l’argument de la « non-politisation », ou encore moins une interprétation restrictive des droits économiques, sociaux et culturels comme étant moins contraignants que les droits civils et politiques ».



Eric Toussaint consacre le chapitre 29 à Mettre fin à l’impunité de la Banque mondiale. Il explique qu’il est possible de traduire la Banque mondiale en justice, la nécessité de porter plainte (des prêts octroyés ont servi « à mener des politiques qui ont porté préjudice à des centaines de millions de citoyens·nes », des aides ont été octroyées à des régimes dictatoriaux « responsables avérés de crimes contre l’humanité », des contributions à la déstabilisation « des gouvernements progressistes et démocratiques », sans oublier l’exigence de remboursements aux nouveaux Etats indépendants de prêts accordés antérieurement aux métropoles coloniales)…



L’auteur développe ensuite un Plaidoyer pour abolir et remplacer le Fmi et la Banque mondiale. Trente deux thèses à charge contre la Banque mondiale et le FMI. Il explique pourquoi il convient de bâtir une nouvelle architecture internationale, les textes qui doivent servir de soubassements et ses possibles modalités de fonctionnement, sans oublier le renforcement des dispositifs internationaux de droit…



Un livre important tant pour ses analyses que pour ses propositions. L’auteur n’élude ni les réparations des pillages multiséculaires, ni la mise en accusation des institutions et des responsables (nationaux et internationaux), ni les nécessaires coordinations internationales – tant en terme d’institutions, de dispositifs de droits ou de solidarité.



Le marché soi-disant libre et la concurrence soi-disant non faussée sont des constructions idéologiques d’organismes centralisés, ni démocratiques, ni libres, ni concurrentiels. Un mensonge inlassablement répété reste un mensonge. Et lorsque ce mensonge participe de la destruction et des droits humains et des personnes, les menteurs devraient rendre des comptes.



Ces dimensions internationales sont plus que nécessaires, nous pouvons élever des protections à toutes les avancées sociales et politiques qui seront contestées, y compris par la force, par les couches sociales dominantes. Nous devons soutenir tous les audits à participation citoyenne, y compris lorsqu’ils remettent en cause « nos banques » et « nos gouvernements ». Nous devons participer aux confinements des agresseurs potentiels. La souveraineté populaire nécessite à la fois des institutions démocratiques collectives, une solidarité internationale et un encadrement par le respect et l’élargissements des droits humains. (En complément possible, Monique Chemillier-Gendreau : Pour un Conseil mondial de la Résistance)
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Bancocratie

Comment ne pas reprendre, comme l’auteur, pour donner le ton ou la couleur de l’ouvrage, cette citation de Bertold Brecht, tirée de L’opéra de quat’sous : « Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? »



Eric Toussaint indique en avertissement :



« En écrivant ce livre, je souhaitais donner à des femmes et des hommes qui ne font pas partie des hautes sphères de la banque et des institutions politiques des moyens pour comprendre ce qui se passe dans le monde opaque de la banque privée, des banques centrales, de la Commission européenne, des lieux où se prennent des décisions fondamentales qui affectent les conditions d’existence de l’immense majorité de la population mondiale.



Le livre se déroule de la manière suivante : l’évolution du système capitaliste, et en son sein celle du secteur bancaire, depuis les années 1970-1980, fait l’objet des chapitres 1 à 3 ; l’évolution du secteur bancaire aux États-Unis et en Europe au cours des vingt dernières années qui a mené à l’effondrement bancaire de 2008 est analysée aux chapitres 4 à 7 ; la parodie de réglementation bancaire est décrite aux chapitres 8 à 10 ; la situation des banques en 2011-2014 fait l’objet des chapitres 11 à 17 ; les manipulations et les délits commis par les banques sont présentés aux chapitres 18 à 29 ; l’action des gouvernements, des banques centrales, du FMI et son incidence dans la lutte de classes sont étudiées aux chapitres 30 à 38 ; l’évolution des banques au cours des deux derniers siècles est observée dans le chapitre 39. Le chapitre 40 présente un ensemble cohérent d’alternatives et de propositions.



A chaque fois, j’ai essayé de donner des clés pour comprendre ce qui pousse ceux d’en haut à agir comme ils le font. J’ai également souhaité montrer qu’il y a des alternatives qui sont à notre portée si on agit ensemble de manière résolue pour les atteindre. La démocratie politique et sociale se conquiert chaque jour. L’action collective est l’instrument vital de l’auto-émancipation ».



De la préface de Patrick Saurin, je n’indique que la conclusion qui pose, me semble-t-il, une question essentielle. « Le suffixe de bancocratie vient du grec, kratos, qui signifie « le pouvoir », « l’autorité », « le gouvernement ». Le titre du livre d’Eric Toussaint appelle en regard un autre mot, « démocratie », et nous renvoie en définitive à cette question : qui doit détenir le pouvoir, les banquiers ou le peuple ? »



Le travail d’Eric Toussaint est considérable et remarquable. Je souligne à la fois l’économie générale du livre, la clarté des analyses, la qualité de l’exposition, la somme de données. Les présentations sont précises, illustrées de graphes, tableaux et d’encarts explicatifs, dans un langage habituel, les mots spécifiques étant expliqués dans un glossaire. De cet ensemble indispensable, je ne mets en avant que certains points.



Eric Toussaint revient sur les raisons de la crise économique qui a éclaté en 2007/2008, sur la responsabilité tant des banques que des autorités institutionnelles étasuniennes, sur la contagion internationale, sur la place des dettes privées, sur l’hypertrophie du secteur financier privé et la redoutable augmentation des dettes privées.



A noter, que cette hypertrophie du système financier participe du nouveau modèle de fonctionnement du capitalisme, (voir par exemple, Michel Husson : Un pur capitalisme, Éditions Page2 2008).



L’auteur analyse les étapes de la financiarisation/déréglementation des années 1980 à la crise de 2007-2008, dont « le développement de la mal nommée ‘banque universelle’ », le renoncement des États à maintenir les prélèvements fiscaux sur les revenus du capital, le marché financier global, celui des changes ou des produits dérivés. Il insiste à très juste titre sur « Le mythe de la fécondité du capital ».



Eric Toussaint détaille quelques mécanismes de l’ingénierie bancaire à l’origine de la crise (effet de levier, hors bilan, banque de l’ombre ou shadow banking, paradis fiscaux). Sur les paradis fiscaux souvent exotisés, je cite l’auteur : « Les paradis fiscaux sont des États caractérisés par les cinq critères non cumulatifs suivants : (a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme protégeant les trusts) ; (b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ; (c) des facilités légales permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ; (d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ; (e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière. La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux ».



L’auteur traite particulièrement de la quête de rendement maximum sur fonds propres, il en détaille de nombreux mécanismes, dont les Credit Default Swap (CDS) ou les Money Market Funds.



Eric Toussaint consacre des pages très claires à l’effondrement bancaire de 2008, les pertes dissimulées, etc. Il explique comment les autorités de contrôle ont permis aux banques de réduire systématiquement le ratio fonds propres/actifs, d’augmenter ainsi l’effet de levier et donc la prise de risque (dont la réduction du capital dur et la pondération des actifs). Les prochaines mesures « réglementaires », au delà des effets d’annonces, ne modifieront pas la situation.



J’ai notamment apprécié les chapitres « les banques trompent énormément », ceux sur les montagnes de produits structurés, sur les bombes à retardement que représentent les actifs des banques, sur « les nouvelles pratiques et mécanismes de nouvelles crises » (dont le trading, le short-selling).



Contrairement aux projections médiatiques, Eric Toussaint rappelle que les dettes souveraines ne constituent pas la cause de la crise prolongée des banques privées. « Les principaux médias de masse appuient, de manière permanente, le discours des banquiers et des gouvernants sur le fait que la cause de la fragilité actuelle des banques provient du poids des dettes publiques dans leur bilan. Il s’agit d’un véritable matraquage de l’opinion publique, une opération de désinformation systématique. A force de répéter en permanence le même mensonge, l’objectif est qu’il en reste quelque chose dans la tête des gens. La menace que représentent les dettes publiques pour la stabilité bancaire est devenue à la fois un écran de fumée pour dissimuler les responsabilités des banques et un prétexte pour imposer des politiques antisociales afin d’assainir les finances publiques. Il est donc essentiel de faire la clarté sur ce sujet et d’avancer une série de contre-arguments ». En fait, les réalités sont toutes autres : « Contrairement au discours dominant, le risque principal qui menace les banques n’est pas la suspension du paiement de la dette souveraine par un État. Aucune des faillites bancaires depuis 2007 n’a été provoquée par un tel défaut de paiement. Aucun des sauvetages bancaires organisés par les États n’a été rendu nécessaire par une suspension de paiement de la part d’un État surendetté. Ce qui menace les banques, c’est le montage de dettes privées qu’elles ont progressivement construit depuis la grande déréglementation qui a commencé à la fin des années 1970 et qui s’est poursuivie au cours des années 1990 jusqu’à 2007-2008 ».



L’auteur insiste sur les activités spéculatives des banques, en particulier sur les matières premières et les aliments, leurs interventions sur le marché des commodities. Eric Toussaint avance vingt deux propositions comme alternative à la crise alimentaire.



L’auteur parle aussi du scandale de la manipulation du marché des changes, des abus des banques dans le secteur hypothécaire et des expulsions illégales de logement aux États-Unis, de la banque britannique HSBC et le blanchiment de l’argent de la drogue, du scandale des prêts toxiques en France, de Dexia complice de violations très graves des droits humains dans les territoires occupés par Israël, de l’évasion et la fraude fiscale internationale organisées par la principale banque suisse UBS, d’autres affaires concernant BNP Paribas, Deutsche Bank, Royal Bank of Scotland, le Crédit Suisse, Barclays, Bank of America, Goldman Sachs, JP Morgan… Des « délits et crimes commis par les banques et leurs dirigeants ». Et l’auteur indique : « En cas de délits et d’abus, il faut mettre en pratique une solution radicale : retirer la licence bancaire aux banques coupables de crimes, bannir définitivement certaines de leurs activités, poursuivre en justice les dirigeants et les grands actionnaires ».



Il explique et démonte la doctrine « Trop grandes pour être condamnées » : « On connaît la maxime : « Trop grandes pour faire faillite » (‘Too Big to Fail’). La manière dont les gouvernants ont géré la crise provoquée par les banques a débouché sur une nouvelle doctrine qui peut être résumée par : « Trop grandes pour être condamnées ». Ou « Trop grandes pour être emprisonnées » si on traduit littéralement le nouvel adage qui fait florès aux États-Unis et au Royaume-Uni : « Too Big to Jail » qui rime avec « Too Big to Fail ». » dans cette partie, il reprend la citation de Berthold Brecht mis en exergue à son livre et au début de cette note.



Eric Toussaint présente les différentes actions des gouvernements et des banques centrales en soutien aux banques privées (prêts massifs des banques centrales, subsides implicites,etc.). Il discute du « modèle allemand », de la gestion de la crise, de l’offensive « du Capital contre le Travail », des objectifs de la BCE…



Mais, aucun processus n’est irréversible, « des gouvernements sous pression des populations pourraient décider de désobéir à la Commission européenne, à la BCE et, derrière eux, au patronat des grandes entreprises européennes. Dans ce cas, il est clair que des gouvernements, soutenus par le peuple mobilisé, pourraient retrouver un véritable espace d’action car la force de Bruxelles repose sur la docilité des gouvernements et des peuples ». Encore faut-il s’y opposer par des propositions à vocation majoritaire.



Le chapitre « De Karl Marx à aujourd’hui : l’impressionnante évolution des banques », permet d’avoir une vision globale des évolutions et de mettre l’accent sur des points rarement discutés, comme la responsabilité limité des actionnaires.



Le livre se termine sur des constats « Les droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans la déclaration universelle des droits humains de 1948, codifiés dans un pacte international en 1966, font l’objet d’une vaste entreprise de démolition. Les droits civils et politiques des citoyens sont également remis en cause au quotidien par les gouvernements et les institutions internationales au service du grand capital : les peuples ne sont pas consultés sur des questions aussi importantes que le sauvetage et l’avenir des banques privées, la privatisation des entreprises et des services publics, l’adoption de traités européens, les choix effectués par les électeurs ne sont pas respectés, la constitution est foulée au pied, le pouvoir législatif est marginalisé ou réduit à une chambre d’enregistrement… » et sur des mesures détaillées immédiates (dix-neuf) et à moyen terme pouvant être prises.



« C’est en définitive un nouvel imaginaire qu’il s’agit de construire, à la place d’un vieil imaginaire réifié, aliéné par la marchandise ».



Comme l’indique l’auteur dans son introduction, « Le métier de la banque est trop essentiel à l’économie pour être laissé entre les mains du secteur privé, il est donc nécessaire de socialiser le secteur bancaire (ce qui implique son expropriation) et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun.



La dette publique contractée pour sauver les banques est définitivement illégitime, car elle n’a pas servi l’intérêt général, et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes ou illégales, et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste puisse prendre forme ».



Un livre pour comprendre le système financier actuel, les risques liés au fonctionnement actuel des établissements et des flux financiers. Une contribution nécessaire aux débats sur les alternatives crédibles et majoritaires à l’ordre/désordre du monde. Des alternatives qui relèvent de choix politiques, de choix démocratiques, respectueux à la fois des droits individuels et collectifs des populations et de nos relations à l’environnement.


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La crise, quelles crises ?

Il n’y a jamais rien d’inexorable en politique



À l’exposition de la crise financière et de la récession, comme fourmillement surgi du néant, ou comme élément marginal du fonctionnement du système capitaliste, Damien Millet et Éric Toussaint soulignent« L’interconnexion des crises à l’échelle mondiale ».



Ils insistent, à juste titre sur la crise alimentaire, la crise écologique et climatique (« bien que la crise trouve son origine dans les pays les plus industrialisés, les populations des pays ”pauvres” seront plus fortement touchées que celles des pays ”riches” »), la crise migratoire et la crise institutionnelle internationale.



Damien Millet et Éric Toussaint rappellent les élaborations alternatives « Un autre scénario est tout à fait possible. L’objet de cet ouvrage est de le démontrer en analysant les mécanismes reliant ces différentes crises et de contribuer à dégager les voies qui permettent aux peuples de mettre fin à leur soumission aux grands créanciers et aux grandes puissances. »



Les auteurs détaillent les conséquences de la « grande transformation des années 1980 » et particulièrement du rôle de la dette sur les différentes économies. Puis ils analysent « La crise financière déclenchée en 2007 » en développent leurs propos bien au delà des éléments détonateurs. Ils résument les propositions « écartées par la longue nuit libérale » : arrêt des privatisations et des déréglementations, transferts vers le secteur public, réduction radicale du temps de travail, généralisation des retraites par répartition, politiques salariales, etc…



Cinq noms emblématiques, ceux des ‘‘économistes” responsables de la déréglementation bancaire des années 1990, aujourd’hui appelés à diriger la ”nouvelle politique” américaine illustrent le chapitre quatre « Face à la crise, Barack Obama confie les clés du coffre aux escrocs ». Puis Damien Millet et Éric Toussaint exposent les raisons de la probable nouvelle crise de la dette au Sud « les importantes réserves de changes que les pays en voie de développement (PED) avaient engrangées ces dernières années » ne pouvant jouer longtemps le rôle d’amortisseur



Le chapitre six « La crise alimentaire » permet aux auteurs de critiquer les fausses explications autour de la consommation chinoise et indienne et d’affirmer la triple responsabilité des sociétés transnationales de l’agrobusiness, des groupes financiers et des spéculateurs et des organismes internationaux et des gouvernements du Nord. Les auteurs présentent, entre autres, les contrepropositions de Via Campesina et leurs propres élaborations.



Le chapitre sept aborde la responsabilité du mode de production capitaliste dans la modification du climat. Les auteurs illustrent leurs analyses d’exemples internationaux très précis.



Avant d’aborder les expériences en cours au Venezuela, en Équateur et en Bolivie, Éric Toussaint décrypte la crise de la gauche et le bilan très négatif de la démarche social-démocrate et du désastre stalinien. Il y oppose une démarche anticapitaliste qui « intègre obligatoirement une dimension féministe, écologique, internationaliste et antiraciste ».



En lien avec l’analyse des expériences sud-américaines, l’auteur souligne la nécessité « fondamentale de mettre en place une relation interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple, qui doit renforcer son niveau d’auto-organisation et construire d’en bas des structures de pouvoir populaire. » Je ne reviens pas ici sur les analyses détaillées de ces expériences, je renvoie aux articles parus dans Inprécor de septembre/octobre 2009.



L’ouvrage se termine par une description des évolutions du mouvement altermondialiste.



Le livre est complété d’une chronologie sélective (1999-2009) permettant la réflexion sur la réelle marche du monde, loin des faits-divers ou des résultats sportifs, distillés à longueur de journée et embrumant les réalités d’un fantasque nuage dissolvant d’autres possibles.



En annexes : la Charte politique du réseau CADTM International, la Déclaration finale d’octobre 2008 de la Conférence internationale d’économie politique « Les réponses du Sud à la crise économique mondiale » et la Déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux lors du Forum social mondial 2009 à Belém.



Enfin, il convient de lire attentivement les données sur les « Chiffres de la dette en 2009 » dont je reproduis, sans commentaire, la première phrase « Le revenu des 500 individus les plus riches de la planète dépasse les revenus cumulés des 416 millions de personnes les plus pauvres. »



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Les tsunamis de la dette

Cet ouvrage revient sur les événements tragiques suite au tsunami décembre 2004.



Il est nécessaire de comprendre que si les catastrophes sont « naturelles », leurs conséquences sont à mettre en rapport avec l’organisation concrète des sociétés. Les auteurs nous montrent comment les politiques imposées par le FMI et la banque mondiale, ont fragilisé les sociétés, y compris dans les modifications des espaces géographiques « Les rivages protégés naturellement par les mangroves ou les récifs coralliens ont été nettement moins affectés par le tsunami que les régions qui en sont dépourvues »



Les réactions de solidarité à travers le monde, l’aide ponctuelle, quelque fois inappropriée (cf. l’envoi de médicaments inutiles, qui de plus peut déstabiliser les industries pharmaceutiques locales et renforcer à terme les dépendances) ne doivent pas faire oublier que le montant des dons est sans commune mesure avec ceux de la dette. Celle ci, non seulement, n’a pas été abolie mais continue d’augmenter. Les moratoires accordés, qui ne dispense pas du paiement des intérêts, pourraient se révéler encore plus coûteux à terme pour les populations.



Les auteurs nous montrent comment la mondialisation néolibérale est catalyseur de désastres écologiques, économiques et sociaux (chapitre 2). L’insertion des pays, touchés par le tsunami, dans la mondialisation capitaliste déforme les économies, appauvrit toujours plus ces pays (les transferts nets de capitaux se font au bénéfice des pays dominants) et fragilise la majorité des populations.



L’endettement et le service de la dette, la priorité mise sur l’exportation de matière premières agricoles et l’abandon des subventions aux produits de premières nécessités (riz, eau, combustible, etc.) ont des conséquences profondes sur l’organisation sociale des sociétés.



« Le désengagement général de l’État se traduit au final par une sclérose, voir une suppression pure et simple, des organismes susceptibles de réduire les risques, d’alerter efficacement ou de répondre à l’urgence »



Les auteurs complètent cet ouvrage par des analyses détaillées des évolutions de l’Indonésie, de l’Inde, du Sri Lanka et par des notices sur d’autres pays dits en voie de développement.



Le tsunami fait déjà parti du passé et de l’oubli, l’annulation totale de la dette reste une actualité brûlante.
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Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une ..

Une possible alternative crédible, cohérente et efficace au service de la population



« Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociation, il vaut mieux ne pas vous y assoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (Yanis Varoufakis).



Des paroles et des actes. Ne pas discuter des politiques menées, des arguments utilisés, des possibilités ouvertes – ici par les élections – revient à se laisser enfermer dans un ordre dicté du monde par les puissants. Et pour répondre à Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de l’Europe de Yanis Varoufakis, Eric Toussaint propose – dans une formulation ironique et qui annonce la couleur – de discuter d’une capitulation entres adultes…



Dans son introduction, l’auteur, « en contrepoint du récit de Varoufakis », exprime d’autres appréciations, un autre avis, une critique argumentée des choix opérés par Yanis Varoufakis…



« Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en œuvre par Yanis Varoufakis et le gouvernement d’Alexis Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un parti de gauche radicale a été élu en Europe pour former un gouvernement. Moins de six mois après avoir pris ses fonctions, ce gouvernement se pliait finalement aux exigences des créanciers, renonçant de fait à mettre fin à l’austérité. Comprendre les échecs et tirer les leçons de la manière dont ce gouvernement a affronté les problèmes qu’il a rencontrés sont de la plus haute importance si on veut éviter un nouveau fiasco. Dans d’autres pays d’Europe, une majorité d’électeurs et d’électrices pourrait porter au gouvernement des forces de gauche qui promettent de rompre avec la longue nuit néolibérale et de réaliser de profonds changements. Des explosions sociales de grande ampleur peuvent aussi déboucher sur l’arrivée de forces de gauche radicale au gouvernement. Même là où les chances d’arriver au gouvernement sont très limitées, il est fondamental de présenter un programme cohérent de mesures qui devraient être prises par un gouvernement aussi fidèle au peuple que le sont les gouvernants actuels à l’égard du grand capital. Il est également nécessaire de proposer une stratégie pour affronter les ennemis du changement et de l’émancipation ».



Je ne vais pas revenir sur le déroulé de cette histoire et les différentes analyses proposées tant par l’ancien ministre des finances que par Eric Toussaint.



Je me propose de souligner certains points – bien argumentés par l’auteur du livre – et en m’éloignant de l’objet du livre, d’indiquer d’autres points qui mériteraient d’être travaillés.



Comment un programme élaboré et présenté aux électeurs et électrices peut-il être mis en place ? Comment des élu·es et un gouvernement peuvent-iels restituer et rendre compte des possibles écarts entre les propositions et les politiques menées ? Comment sont rendues publiques les négociations avec les instances européennes ?



Comment favoriser l’auto-organisation des populations, leurs actions propres, condition de l’amélioration des rapports de force ? Comment rechercher le soutien des populations des autres Etats européens ?



Dit autrement, de quel point de vue sont énoncés les propositions, discutées les actions gouvernementales ?



Poser ou ne pas poser ces questions, et d’autres, relève d’une divergence fondamentale entre celleux qui pensent qu’une politique gouvernementale suffit en soi et que les programmes électoraux n’ont qu’une valeur très indicative et celleux qui font de l’action politique des populations une condition des possibles, y compris gouvernementaux.



Eric Toussaint met l’accent, entre autres, sur le fonctionnement en petit comité « dans le dos de son propre parti » choisi par Alexis Tsipras, le refus de faire appel « à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire », le choix d’un ministre des finances opposé au programme de Thessalonique…



L’auteur souligne la diplomatie du secret, l’absence de détermination « à passer à l’action si les créanciers ne faisaient pas de concession », le refus de faire « appel au soutien des populations d’Europe et d’ailleurs ». Il propose, à partir des écrits mêmes de Yanis Varoufakis, une analyse de l’« orientation politico-économique mise en pratique », de la différence entre arrivée au gouvernement et détention du pouvoir. Il insiste sur l’auto-organisation populaire, « son auto-activité dans la sphère publique et sur les lieux de travail sont des conditions sine qua non à l’ensemble du processus », sur la relation « interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple »…



Eric Toussaint détaille les propositions de Yanis Varoufakis et pourquoi celles-ci menaient à l’échec. Il aborde le récit discutable des origines de la crise grecque, la falsification des statistiques, les relations avec « l’élite politique grecque », l’opposition au programme électoral de Syriza, l’hypothétique plan B, le sauvetage des banques françaises et allemandes, la mise en place d’une orientation contradictoire à celle adoptée de manière collective au sein de Syriza et socle de son élection, les politiques agressives de la BCE, l’étau de la dette, la composition et le fonctionnement de l’Eurogroupe, la primauté du mémorandum « par rapport aux mesures proposées par le gouvernement grec », le référendum, « C’est une trahison du verdict populaire d’autant plus manifeste qu’il avait juré publiquement de respecter le résultat du référendum, quel qu’il soit »…



L’audit citoyen de la dette, les caractérisations de celle-ci comme illégitime et odieuse, la nécessité d’une suspension des paiements et d’une annulation sont particulièrement développées. Au-delà du livre, je renvoie aux autres ouvrages indispensables de l’auteur sur les dettes, les banques…



Eric Toussaint met en avant des initiatives et des propositions qui auraient pu être développées. Ces mesures concrètes, ces possibles sont indispensables pour comprendre les renoncements, la capitulation. De ce point de vue, le dernier chapitre devrait être largement discuté, en particulier les initiatives de désobéissance…



« Accablée par une dette qui dépasse toujours 170% du produit intérieur brut, la Grèce reste sous une sorte de mandat de protectorat dissimulé derrière des apparences de souveraineté. Néanmoins le peuple n’a pas dit son dernier mot. »



En complément, je voudrais aborder quelques autres points.



Le premier concerne l’idée de majorité. Si le gouvernement d’Alexis Tsipras a bien une légitimité électorale pour déployer la politique qu’il avait annoncé – et cette légitimité est renforcée par le résultat du referendum – il n’a cependant pas recueilli la majorité des voix des citoyen·es. L’écart entre une majorité parlementaire et un pourcentage de voix exprimées ou d’inscrit·es est un problème démocratique en soi. Le résoudre passe par un processus constituant qui ne peut que prendre du temps.



Le second point est en parti discuté par Eric Toussaint à propos du peu d’intérêt manifesté pour l’audit de la dette par une partie de la gauche (interne ou externe) de Syriza. Il conviendrait d’analyser les propositions ou l’absence de proposition, le sectarisme hallucinant des différents groupes.



Le troisième point concerne les mobilisations ou plus exactement le temps des attentes ou des replis, la faible conscience internationaliste en France et en Allemagne. Il peut y avoir discordance entre les souhaitables et les possibles. Comment gérer le temps raccourci des rapports de force et celui plus élastique des interventions populaires ?



Enfin, et les délires nationalistes autour du nom même de Macédoine en sont une parfaite illustration, la question nationale et des minorités nationales ne me semble pas avoir été saisie (c’est un euphémisme) dans toute sa complexité…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Le système dette

Le remboursement des créances publiques par les États surendettés constitue-t-elle vraiment une priorité politique ? Éric Toussaint, économiste militant, explique que certaines dettes sont odieuses et propose de réformer l’architecture financière internationale en conséquence.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
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Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie ..

Pour que la main demeure invisible, il faut bien que l’œil soit aveugle



Dans ce petit livre, Éric Toussaint nous propose des lectures de textes des prédécesseurs/références des néolibéraux (Adam Smith, Jean Baptiste Say, David Ricardo ou d’autres), en soulignant les écarts entre les sources avouées et les »théorisations» plus actuelles. L’auteur met en perspective historique de l’idéologie libérale (dont son éclipse entre 1930 et les années 70).



La présentation et les analyses permettent une dénaturalisation des postulats idéologiques qui servent de soubassement aux politiques »contre réformistes». Je souligne de ce point de vue les trois encadrés « Le FMI et l’inexistence du chômage involontaire », « Les aberrations des penseurs néolibéraux et néoclassiques » et « Le rapport Doing Business de la Banque mondiale : un précis de politique néolibérale ».



Il ne faut pas prendre à la légère les effets de conviction de l’assimilation des rapports sociaux à des phénomènes naturels. Les constructions de »lois» comparables à celles élaborées dans les sciences naturelles ne peuvent-être que frauduleuses de la pensée scientifique, voir de la pensée tout court. De réduction en réduction, les »élaborations» néolibérales font de la société un mécanisme naturel, de l’économie la clé qui ouvre la connaissance de tous les phénomènes sociaux, du marché l’optimisation des ressources et de l’opprimé »privilégié» un oppresseur.



Sans oublier « L’ultime argument des néolibéraux pour défendre leur bilan, c’est à dire qu’il n’y a toujours pas d’allocation optimum des ressources parce que nulle part, il n’y a de fonctionnement sans entrave de marché. Il s’agirait donc de lutter contre les entraves dans la perspective lointaine d’une prospérité générale. »



Tout cela n’en reste pas au monde des idées. Comme le souligne l’auteur « Si l’on y regarde bien, le Chili à partir du 11 septembre 1973 a constitué dans l’hémisphère Sud un laboratoire dans lequel a été mis en pratique, d’une manière particulièrement violente et brutale, le projet néolibéral ». En effet, et il conviendrait d’insister particulièrement sur ce que sont les « Chicago boys », non pas des économistes (même si à leurs yeux « l’économie ainsi conçue devient en quelque sorte la théorie générale du comportement humain ») mais des idéologues, dont les délires antidémocratiques ont eu des applications sanglantes (Yves Delazy et Bryan G. Garth : La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’état en Amérique latine, entre notables du droit et »Chicago boys», Seuil Liber, Paris 2002).



Comme le dit si bien Nicolas Béniès dans le n°7 de la revue ContreTemps (Syllepse, Paris septembre 2010) : « Pour comprendre le monde et avoir une chance de le transformer, il est nécessaire d’aborder l’économie en lien avec toutes les autres sciences sociales : le fait politique est la synthèse de toutes les sciences sociales. »



Ce livre concoure bien à mettre à nu les nouveaux dieux, de décrypter les manières de penser, les kits idéologiques qui dominent. Je souligne que les néolibéraux nient la faisabilité même de l’histoire par les femmes et les hommes, en les enfermant dans un pseudo naturalisation de leurs relations.



Pour les curieuses et les curieux, le titre de cette note est une citation, reprise aussi par Éric Toussaint, de Daniel Bensaïd.
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AAA : Audit, annulation, autre politique

Un livre intéressant où l'auteur déroule sa vision du fonctionnement de l'économie. Sa position sur la dette et sa démonstration sont intéressantes. Un livre à lire.
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AAA : Audit, annulation, autre politique

AAA : le ricanement des hyènes



« Derrière ce AAA, se cachent des régressions sociales de grande ampleur, des violations des droits humains, du sang et des larmes pour les populations les plus fragiles »



Le livre de Damien Millet et d’Éric Toussaint conjugue des analyses de la situation, la construction des dettes « La dette publique a deux causes principales : d’une part la contre-révolution fiscale commencée dans les années 1980 qui a favorisé les plus riches et d’autre part les réponses apportées par les États à la crise actuelle causée par les investissements débridés des banquiers et des fonds spéculatifs », et des connaissances du droit international, la qualification de dette en dettes illégitimes ou odieuses et la possibilité de leur non-remboursement.



La présentation des auteurs ne se limite pas à un constat. En insistant sur la nécessité d’un audit de la dette « Un audit de la dette publique accompagné d’un moratoire sans pénalité sur les remboursements, est la seule solution pour en déterminer la part illégitime, voire odieuse », d’une irruption du contrôle populaire, les auteurs réhabilitent les débats, les choix et les solutions démocratiques.



Si les auteurs reviennent sur la construction des énormes dettes publiques (Grèce : 350 milliards d’euros, France : 1700 milliards ou États-Unis : 11000 milliards), ils n’en oublient pas que cette dette « ne représente pourtant que la partie émergée de l’iceberg : le danger est bien plus grand en ce qui concerne les dettes privées ».



Damien Millet et Éric Toussaint expliquent pourquoi l’Union européenne est plus touchée que les États-Unis. Ce qui prime, c’est non le montant de la dette, mais « la faiblesse des institutions politiques et les caractéristiques de l’architecture financière autour de l’euro ». Ils soulignent que « l’Union européenne se place volontairement au service des marchés financiers » et que pour les économies faibles « l’appartenance à la zone euro s’est transformée en une camisole de force ». Ce type de construction européenne et la libéralisation des marchés a été une orientation politique mise en place à la fois par les néo-libéraux et les socio-libéraux. Doit-on rappeler le rôle des socialistes français au pouvoir dans la déréglementation financière et la construction des marchés comme unique lieu de financement ?



Si l’accent est souvent mis sur la dette des États, « En réalité, le maillon le plus faible de la chaîne de la dette en Europe, ce ne sont pas les États : ce sont les banques ». Les auteurs analysent l’abandon des réglementations strictes, l’inventivité catastrophique des institutions financières (ABS, CDO, CDS, etc), cet échafaudage farfelu qui « a abouti à une authentique débâcle ».



De tout cela découle « Des rafales d’austérité en Europe ». La description qu’en font les auteurs donnent de l’épaisseur à cette autre face de la réalité (recul des salaires et des pensions, privatisations, augmentation des impôts indirects, envolée du chômage, etc), volontairement occultée par les chroniqueurs et les économistes peu critiques.



Ces politiques sont imposées par le FMI, la BCE et les pouvoirs politiques en place.



Les auteurs décryptent le fonctionnement de ces instances « l’exigence de levée de tous ces contrôles (à la circulation des capitaux) par le FMI constitue une violation de l’esprit de ses statuts » ; « la BCE a été voulue totalement indépendante du pouvoir politique » ce qui signifie que le politique a organisé la toute puissance de la BCE et l’a « placée dès l’origine hors du contrôle des peuples… », sans oublier que « les gouvernements qui l’ont créée voulaient réserver au secteur privé le monopole du crédit à l’égard des pouvoirs publics. »



Si les auteurs n’utilisent pas le terme de crise systémique, ils n’en soulignent pas moins que « En 2007, le ciel capitaliste s’est assombri : la plus grande crise depuis les années 1930 a commencé ». Ils mettent en avant le regain des mobilisations populaires, et leur récurrence en 2011. « Mais au-delà de la forme classique de la manifestation avec banderoles et slogans, le mouvement social et politique rebelle a fait irruption dans les rues et sur les places publiques aux quatre coins de la planète. Il a pris une nouvelle forme et de nouvelles appellations : le printemps arabe, les Indignés, le mouvement Occupy Wall Street… »



Damien Millet et Éric Toussaint montrent que « La question de la dette constitue plus que jamais la pierre angulaire du combat pour résister aux plans d’austérité et à la poursuite de la destruction des acquis sociaux » ou pour le dire autrement « Le combat pour briser le cercle infernal de la dette est vital ».



D’où l’importance de l’audit citoyen de la dette. Les auteurs déclinent le caractère largement illégitime de la dette publique dans le chapitre 10 et les accords odieux en Europe au chapitre 11. Ils présentent ensuite « Les leçons des récentes suspensions et annulations de dette » au chapitre 12. « Les suspensions unilatérales de remboursement de dettes sont bien plus courantes qu’on ne le croit en général. L’histoire, y compris récente, est jalonnée d’annulations et de répudiations de dettes » (Argentine, Équateur, Russie, Norvège, Islande). Puis Damien Millet et Éric Toussaint indiquent « Les fondements juridiques pour l’annulation des dettes publiques ». Ils soulignent « Il faut tordre le cou à l’idéologie dominante selon laquelle les gouvernements seraient obligés en toutes circonstances de remplir leurs obligations financières et, de ce fait, seraient contraints d’appliquer les mesures d’austérité imposées par les créanciers afin de dégager les ressources nécessaires au paiement de la dette et à la résorption des déficits publics ». Encore faut-il en avoir la volonté politique !!!



Des analyses des chapitres 10 à 12 découlent politiquement le chapitre 13 « L’audit de la dette, passage obligé ».



L’audit citoyen « est un instrument pour rompre le tabou. Il constitue un moyen par lequel une proportion croissante de la population cherche à comprendre les tenants et les aboutissants du processus d’endettement d’un pays ». Coopération ou non des pouvoirs publics, de nombreuses informations sont disponibles.



Annulation de la dette et autre politique. Damien Millet et Éric Toussaint ne font pas de l’endettement un mal absolu qu’il faudrait éradiquer. L’endettement public est utile au fonctionnement des sociétés, pour autant qu’il serve à mettre en place des politiques discutée et tendues vers le progrès social.



Mais il faut en premier lieu augmenter les recettes fiscales « en luttant contre la grand fraude fiscale et en taxant davantage le capital, les transactions financières, le patrimoine et les revenus des ménages riches ». Sur ce sujet, se reporter à la Note de la Fondation Copernic : Un impôt juste pour une société juste (Syllepse 2011).

Il convient aussi de « réduire radicalement les dépenses d’armement, ainsi que les dépenses socialement inutiles et dangereuses pour l’environnement ». Mais cela ne suffira pas face à la conjugaison d’une crise historique du système capitalisme et d’une crise globale de notre relation à l’environnement. « Mais au-delà, la crise doit donner la possibilité de rompre avec la logique capitaliste et de réaliser un changement radical de société. La nouvelle logique à construire devra tourner le dos au productivisme, intégrer la donne écologique, éradiquer les différentes formes d’oppression (raciale, patriarcale, etc.) et promouvoir les biens communs. »



Dans le dernier chapitre « Construire enfin une autre Europe », Damien Millet et Éric Toussaint explicitent des propositions sur différents thèmes : pour une juste redistribution de la richesse, lutter contre les paradis fiscaux, remettre au pas les marchés financiers, transférer sous contrôle citoyen les banques au secteur public, socialiser les entreprise privatisées depuis 1980, questionner l’euro, réduire radicalement le temps de travail « En diminuant le temps de travail sans réduction de salaire et en créant des emplois, on améliore la qualité de vie des travailleurs, on fournit un emploi à celles et ceux qui en ont besoin. La réduction radicale du temps de travail offre aussi la possibilité de mettre en pratique un autre rythme de vie, une manière différente de vivre en société en s’éloignant du consumérisme », et une autre Union européenne bâtie sur la solidarité « Le premier pas dans ce sens doit consister à annuler la dette du tiers-monde de manière inconditionnelle ».



Un livre complet et simple à lire, un support indispensable aux débats et aux actions. « Seules des luttes sociales puissantes pourront permettre au AAA des peuples de voir le jour afin d’opérer un changement radical de logique à la hauteur de l’enjeu. »



En complément, le précédent ouvrage des auteurs : La dette ou la vie (CADTM http://www.cadtm.org/ et Editions Aden, Liège et Bruxelles, 2011) et un site à consulter http://www.audit-citoyen.org/
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La dette ou la vie

Les questions autour des dettes odieuse et illégitimes sont enfin discutées ouvertement.



Le travail mené, depuis des années, par les animateurs du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) porte ses fruits.



Dans beaucoup de pays, les droits de la majorité de la population, se heurtent aux politiques des gouvernements néolibéraux ou socio-libéraux, du « libre marché », du moins d’État et du FMI. Dans les conditions naturalisées du système et de son fonctionnement, l’argument de la dette insoutenable, pour les générations futures, est brandie comme un problème majeur. Les solutions avancées par les dirigeants de ce monde ne sont pas les seules possibles. Elles ne peuvent être réduite à des techniques d’austérité, de privatisation ou de réduction des droits acquis, souvent mortifères, prônées par les grands de ce monde. Il y a lieu et place pour des débats politiques, des choix démocratiques.



Les argumentaires déployés dans ce livre sont précis et approfondis. Les analyses sont étayées par de multiples données, les situations sont examinées dans leurs multiples dimensions.



Il convient en effet de comprendre comment ces dettes ont été créées, sur quel source de Droit international, sur quels exemples historiques, les populations peuvent s’appuyer pour requalifier les dettes comme odieuses et illégitimes.



21 chapitres : « Historique et perspective de la crise de la dette du nord », « La religion du marché », « Le retour en force du FMI en Europe », « Islande : du paradis à l’enfer grâce aux marchés », « Grèce : Tout un symbole de dette illégitime », « La crise irlandaise : fiasco complet du néolibéralisme », « Europe de l’est : entre pays émergents et Union Européenne », « Pologne, la domination des fonds de pension », « L’Union européenne et la zone euro en crise », « Dette publique de la France : des vérités qui dérangent », « La Belgique menacée par sa dette », « Alternatives pour une Union européenne », « Convergence entre mouvements sociaux en Europe », « États-Unis, antre de la dérégulation financière », « Décennies perdues au Japon », « Quels sont les points communs entre dette publique des pays en développement et dette publique au Nord ? », « La dette publique : une aliénation de l’État », « Dangereuse insouciance pour la dette publique au Sud », « Là où le Sud nous montre la voie », « Comment suspendre le paiement des dettes publiques sur une base légale » et « Comment déclarer la nullité des dettes publiques en toute légalité ».



Le livre est illustré de multiples petits graphes et tableaux présentant les réalités chiffrées.



Les auteur-e-s soulignent que « la participation citoyenne est la condition impérative pour garantir l’objectivité et la transparence de l’audit » sur les dettes, précondition pour son annulation.



Comme le dit Éric Toussaint, nous avons une responsabilité importante « celle d’adopter un ensemble de propositions à la hauteur des enjeux, d’élaborer une stratégie de convergence et d’unité d’action afin d’assurer une sortie de crise anticapitaliste, écologique, antiraciste, féministe et socialiste auto-gestionnaire. » Et nous pouvons nous appuyer sur les nombreux mouvements posant « d’ores et déjà la question de la légitimité de cette dette et de son audit complet en vue de l’annulation de sa partie illégitime. Ce combat-là est essentiel pour poser les bases d’une logique économique et financière radicalement différente ».



Voir aussi le livre d’ATTAC : Le piège de la dette publique. Comment s’en sortir (Les liens qui libèrent, Paris 2011)
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