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Citation de Charybde2


Aux temps anciens, tout était plus simple. On jouissait sans doute d’un confort moindre, mais on avait bonne conscience quand on allongeait ses jambes sous sa propre table. C’est justement cette impression que j’éprouvais chez Zapparoni : qu’ici encore charbonnier était maître chez lui. J’aurais parié qu’il n’y avait ici ni compteur ni raccordement – du moins pas un seul qui rattachât la maison au monde du dehors. Il est probable que Zapparoni avait adapté à sa vie domestique le modèle de l’État commercial fermé, conçu par d’autres époques, et que ses automates lui en avaient donné le pouvoir. Dans les automates, c’est l’énergie abstraite qui se rend concrète, qui retourne à l’objet. Cependant, je ne voyais ici rien de pareil : il s’agirait plutôt de la conscience d’une atmosphère. La table portait même des bougies, et la cheminée un tablier.
Ici vivait, de toute évidence, non un rentier, mais bien plutôt un distributeur de rentes. Ici, la police ne pouvait pénétrer, quels que fussent son mandat ou son prétexte. Zapparoni ne se contentait pas d’entretenir sa propre police, chargée d’exécuter ses instructions, et elles seules. Ses chantiers et les chemins qui les reliaient étaient en outre surveillés par des agents et des ingénieurs de l’État ou de l’armée qui, aux termes de leur ordre de mission, devaient travailler « en bonne intelligence » avec lui, mais qui, en fait, ne pouvaient avoir d’autre opinion que la sienne.
La question se pose naturellement de savoir pourquoi un homme d’une telle puissance était contraint de recourir à un pauvre hère qui avait le couteau sous la gorge. C’est justement là que réside le mystère dont j’ai touché un mot. Fait curieux, et qui doit avoir de profondes racines, un être humain, si nombreux que soient les moyens légaux dont il dispose, ne peut mener à bien ses plans sans portes dérobées. Le domaine du droit, qu’il soit étroit ou vaste, confine toujours à l’illégalité. La frontière s’allonge en même temps que les droits reconnus. Nous trouvons plus de transgressions chez de grands seigneurs que chez l’homme quelconque. Quand les pouvoirs deviennent absolus, on aboutit à une situation telle que les frontières risquent de s’effacer, et que le juste et l’injuste sont presque indiscernables. Il vous faut alors des gens avec qui l’on puisse voler des chevaux.
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