La prière de la cuillère
Donne de la force à la main pour qu'elle ne me verse pas,
que je sois un lac silencieux sur la face duquel
poussent des soleils et des lunes fumants.
Ne m’use pas, permets-moi d'être
toujours profonde et sage
comme le ciel d'une âme juste,
et que mes bords restent
à jamais tendres à la bouche qui tremble
et à celle effrayée et affamée
et que je sois toujours pleine pour
ceux qui, se mirant en moi,
écoutent leurs cœurs fatigués
et lentement me hument en pensant à la vie.
Que le jour, une hirondelle de clarté
m’éclaire l'étendue,
et que la nuit, dans ma profondeur s'ébranlent,
multipliant leur blé de lumière, les étoiles.
Donne de la force à la main de celui qui tremble
et qui, tâchant de me lever,
m’éparpille et sans se rendre compte,
me remplit jusqu'au bord de ses larmes,
et ensuite les avale plongé dans ses pensées.
(traduit du roumain par Ileana Vulpescu)
Hannibal
Nul n'avait ce qu'il avait :
son orgueil superbe
et les éléphants
et leurs pattes broyant les vertèbres
de ces Alpes blanches de peur.
Il foulait du pied les roches imperceptiblement
et on l'entendait dans la lune, et
personne n'avait vu onduler les clairons de pierre
de ses bêtes
Et ils n'ont pas vaincu.
(traduit du roumain par Ion Pop et Serge Fauchereau)
Les yeux fermés
Vous n'avez pas vu comme moi
des yeux qui se ferment non pour dormir
mais pour toujours.
Les rames des deux larmes
lâchées dans la fumée
définitivement.
C'est alors que j'ai compris
qu'il ne s'agit plus
ni de l'Amérique ni du vieux continent
ni de l'Asie
mais de cet homme
qui ferme les yeux
en lâchant les rames pour toujours.
(traduit du roumain par Ion Pop et Serge Fauchereau)