"... essayer de rétablir l'équilibre entre hommes et femmes, participer à l'événement d'une société où chacun trouvera sa place, à égalité, sans qu'une moitié de l'humanité cherche à dominer l'autre où la justice ne sera pas un vain mot."
Elle voulait vivre. La mort l'avait frôlée et elle était repartie. Plus jamais elle ne l'appellerait de ses vœux. Elle leva les yeux vers le ciel toujours magnifiquement bleu. Un vol de grands oiseaux passait très haut et leurs cris aigus lui parvenaient à peine. Elle sentait la tiédeur de la pierre dans son dos et une agréable odeur de pin flottait dans l'air. Elle respira largement. Vivre.
C’était une question de secondes. Elle jeta sa cape sur le sol spongieux et se coucha à plat ventre dessus. Elle prit les bras de Fréhane et tenta de la hisser hors du piège. Elle réussit à peine à l’empêcher de sombrer davantage. Fréhane s’accrocha d’abord fermement à ses poignets, mais quand elle vit que la cape coulait peu à peu, elle desserra les doigts et secoua la tête en essayant de faire lâcher prise à Lila. Non, non. Ils allaient arriver. C’était mathématique. Lila s’agrippa de toutes ses forces aux poignets glissants de vase de son amie. Hors de question qu’elle abandonne ! Et ils arrivèrent. Des voix leur crièrent de tenir bon. Fréhane reprit ses poignets avec une énergie décuplée et Lila sentit qu’on la tirait par les pieds, puis qu’on la soulevait.
— Tu peux la lâcher maintenant.
C’était Talieb qui essayait de dénouer ses doigts toujours crispés sur les avant-bras de son amie. Sa voix était douce, Lila comprit enfin que c’était fini. Okando soutenait Fréhane qui toussait et crachait.
Élise observait, intriguée, l’arbuste contre lequel Lila était appuyée. Il lui sembla familier, mais en même temps étrange : c’était un jeune chêne, sans être tout à fait un chêne. La silhouette, les feuilles, l’écorce, ressemblaient à ceux d’un chêne et pourtant … Pareil pour toute la végétation environnante : l’herbe elle-même avait quelque chose de bizarre. Certaines plantes lui étaient en revanche totalement inconnues. Tout cela la mettait mal à l’aise.
— On ne peut pas rester là, les portables ne passent toujours pas. Il faut continuer.
— Fais ch… , souffla gracieusement Lila.
— Mais où voulez-vous qu’on aille ? On n’a aucune idée de la direction qu’il faut prendre, renchérit Brahim.
— J’ai aperçu une rivière tout à l’heure, on tâchera de la longer vers l’aval, ça nous conduira bien quelque part.
— Qui a fait ça ? demanda Brahim.
— Probablement les bannis que nous avons combattus l’autre jour, répondit le Bâkâ, la voix cassée d’émotion contenue. Peut-être avons-nous eu tort de ne pas les pourchasser…
— Nous serions probablement morts dans la tempête de neige ou tombés sous leurs coups. Nous ne savons pas combien ils sont encore, contesta Rajen ferment, en secouant la tête.
— À l’intérieur, c’est bien pire, les avertit Saélo.
Vraiment pire, oui. Brahim n’aurait jamais cru que des hommes puissent faire des choses pareilles. Dans le couloir d’entrée, une vieille femme avait été massacrée, les bras et le visage lacérés. Du sang maculait le sol, les murs et même le plafond.
— Il y a bien longtemps, j’étais une des sages. Je siégeais au conseil, j’interrogeais l’avenir et je conseillais ceux qui en faisaient la demande. Mais j’ai trop longtemps exploré les nœuds du destin, j’ai marché trop loin sur les chemins d’avenir, et une partie de mon esprit s’y est perdue. Il m’arrive de ne plus savoir qui je suis, ni où je suis, ni pourquoi. Alors je suis partie sur les routes, j’erre dans les Territoires et au-delà. Quand j’en suis capable, je donne encore quelques conseils, sinon, je me plais dans la solitude et le silence de la nature.
L'avenir change sans cesse en fonction des décisions que nous prenons, à chaque instant. Mais la plupart des changements que nous induisons sont infimes et de peu de conséquences. Cependant, il existe des nœuds dans cette trame, où un choix, un événement, peuvent faire varier considérablement les chemins d'avenir possibles.
Lhéna le servit et leva sur lui un regard de défi.
— Vous allez me dénoncer ? ironisa-t-elle, sur la défensive.
Il haussa les épaules sans répondre, une lueur amusée dans les yeux. La jeune femme se détendit et s’assit sur l’extrémité d’un des bancs de bois qui encadraient la table. Elle savoura la boisson brûlante et tonique. La fatigue, que la tension nerveuse l’avait jusqu’alors empêchée de ressentir, l’accabla subitement. Elle se secoua. Elle fouilla dans les affaires de Daelle et en retira un pain de légumes enveloppé dans un tissu, un sac de pommes et des œufs durs. Des pommes et des œufs durs ! Daelle avait pioché au petit bonheur la chance dans les réserves familiales.
Mais sa vue s’habituant peu à peu, elle distingua bien vite les curieux animaux qui en étaient la source : de petits marsupiaux dont le pelage luminescent brillait dans le noir. Leurs yeux immenses faisaient des tâches plus intenses de la même couleur, s’éteignant et se rallumant au rythme de leurs activités. Brahim claqua des doigts. Tout s’assombrit d’un coup. Les animaux n’avaient pas disparu, on pouvait encore distinguer leurs silhouettes, non, ils s’étaient juste éteints. Au bout d’un temps, ils se rallumèrent l’un après l’autre.
À la lueur douce des flammes, Lhéna vit son visage se durcir. Ses yeux brillèrent d’un éclat fiévreux. Sten ne dit rien.
— Chaque homme est en quête d’un trésor, déclara doucement Olan.
— La mère de la mère de ma mère, et ainsi en remontant jusqu’au temps des Mères, se sont transmis l’histoire de ce trésor. Je sais qu’il existe. Peu m’importe ce que pensent les autres, je le trouverai, affirma Médric d’une voix sourde.
— Admettons, concéda Lhéna. Quel rapport avec nos problèmes ? Un trésor ne nous aiderait guère.