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Citation de Partemps


CREDO [2]


Rythme. — Je crois en un rythme absolu, c’est-à-dire un rythme qui en poésie corresponde exactement à l’émotion ou au degré d’émotion à exprimer. Le rythme d’un homme doit être interprétatif, c’est-à-dire qu’il sera en fin de compte son propre rythme inimitable et qui n’imite rien.
Symboles. — Je crois que le symbole vrai et parfait est l’objet naturel, que si l’on se sert de symboles, on doit les utiliser de telle manière que leur fonction de symbole ne soit pas importune ; de sorte qu’un sens, et la qualité poétique du passage, ne soient pas perdus pour ceux qui. ne comprennent pas le symbole comme tel, ceux par exemple pour qui un faucon est un faucon.
Technique. — Je crois à la technique en tant qu’épreuve de sincérité ; à la loi quand on peut la vérifier ; je crois qu’il faut bouler aux pieds toute convention qui empêche ou rende obscur l’esprit de la loi, ou l’exacte traduc­tion de la poussée créatrice.
Forme. — Je crois à une contenance « fluide » aussi bien que « solide » que certains poèmes ont une forme au même titre qu’un arbre ou que de l’eau versée dans un vase. Que la plupart des formes symétriques sont utilisables. Qu’un très grand nombre de sujets ne peuvent être traduits avec précision, et par conséquent correctement, en formes symétriques. « Thinking that a/one worthy wherein the whole art is employed [3]. » Je crois à la nécessité pour l’artiste de maîtriser toutes les formes et systèmes connus de métrique, et je m’y suis moi-même efforcé avec entêtement, appliquant particulièrement mes recherches aux périodes où ces systèmes prirent naissance ou atteignirent leur pleine maturité. On s’est plaint à juste titre de me voir déverser mes carnets de notes sur le public. Je crois que ce n’est qu’après une longue lutte que la poésie atteindra un tel degré de développement, ou, si vous voulez, la modernité, et que cela concernera la vie même des gens qui se sont habitués, pour la prose, à Henry James et Anatole France, pour la musique, à Debussy. Je ne cesse d’affirmer qu’il a fallu deux siècles de Provence et un siècle de Toscane pour étayer le chef-d’œuvre de Dante ; de même pour les latinistes de la Renaissance et le groupe de la Pléïade ; et pour préparer les outils de Shakes­peare, une vie d’homme au moins de discours colorés. Il est d’une énorme importance que l’on écrive la grande poésie, mais peu importe qui l’écrit. Les démonstrations expérimentales d’un seul homme peuvent éviter à beau­ coup de perdre leur temps — de là cet enthousiasme que je professe à l’égard d’Arnaut Daniel — si un homme d’expérience s’essaye à une nouvelle poésie, ou se dispense avec bonheur de suivre le moindre iota de la sottise couram­ment établie, il n’agit qu’avec la plus extrême loyauté lorsqu’il note noir sur blanc ses résultats.
Personne n’écrit jamais beaucoup de poésie qui « compte ». Dans la masse, les poèmes décisifs sont rares, et quand un poète n’est pas appliqué à ces grandes choses, ou à dire ce qu’il a à dire une fois pour toutes et à ·la perfection ; quand il n’écrit rien de comparable à IloLxLÀ66pov’, &e&va- ;" Atpp6ÔL- ;a, ou bien à « Hist — said Kate the Queen », il ferait mieux de se livrer à des essais poétiques qui pourraient lui servir dans ses œuvres futures, ou servir à ses successeurs.
« The lyf so short, the craft so long to lerne [4] » C’est une folie que de com­mencer son ouvrage sur de trop faibles fondations, et c’est une chose regret­table qu’une œuvre ne croisse avec régularité et ne gagne sans cesse en élégance.
De même en ce qui concerne les « adaptations » ; il se trouve que les grands maîtres de la peinture ont toujours recommandé à leurs élèves de débuter par la copie des chefs-d’œuvre avant de se livrer à leur propre imagination.
De même pour ce qui est de « chaque homme son propre poète », plus on sait de choses sur la poésie, meilleur c’est. Je crois en chaque homme qui écrit de la poésie parce qu’il le veut ; il le faut. Je crois en celui qui sait suffisamment de musique pour jouer « God bless our home » sur un harmo­nium, mais je ne crois pas en tous ceux qui donnent des concerts ou publient leurs erreurs.
La maîtrise d’un art, quel qu’il soit, est l’œuvre d’une vie entière. Je n’essaie pas de faire de distinction entre un « amateur » et un « professionnel ». Ou alors il me faudrait souvent le faire en faveur de l’amateur, mais je ne tenterai pas de discriminer entre l’amateur et l’expert. Il est certain que le présent chaos durera jusqu’ au jour où l’Art de la poésie sera entré de force en chacun ; où il sera désormais connu de tous que la poésie est un art et non un passe­ temps ; où tous auront connaissance de la technique requise ; de la technique superficielle et de la technique de fond ; alors seulement les amateurs cesseront de vouloir noyer leurs maîtres.
S’il a été proféré quelque parole définitive en Atlantide ou en Arcadie 450 ans avant Jésus-Christ, ou bien en 1290 après J.-C., ce n’est pas à nous modernes de l’ignorer délibérément ou de ternir la mémoire des disparus en proférant les mêmes paroles avec moins de talent et moins de conviction.
Je ne me suis occupé des anciens et des moins anciens qu’à seule fin de découvrir ce qui avait été fait une fois pour toutes, et ce qui nous restait à faire. Il reste beaucoup à faire, car si nous ressentons toujours les mêmes émotions que ceux qui mirent à flot les cent navires, il est certain que nous les éprouvons différemment, à des degrés différents, et à des nuances différentes. Chaque période reçoit la même abondance de dons, mais seules certaines époques les rendent durables. On n’a jamais fait de la bonne poésie avec une technique vieille d’une vingtaine d’années, cela ne ferait que démontrer que l’auteur s’est inspiré de livres, de conventions et de clichés, et non de la vie même. Bien sûr un homme sentant le divorce entre la vie et son art peut tou­jours essayer de ressusciter une technique oubliée, s’il trouve en elle un levain ou quelque chose qui lui paraît manquer à l’art contemporain et qui pourrait rendre à cet art sa subsistance, c’est-à-dire la vie.
Dans l’art de Daniel et de Cavalcanti, j’ ai trouvé ce qui manquait chez les Victoriens, et qui, émotion ou sentiment externe, m’oblige à leur rendre hom­mage. Leur témoignage est celui de témoins oculaires, leurs impressions sont de première main.
Pour ce qui est du XIXe siècle, malgré tout le respect dû à ses réussites je crois qu’il nous faut le considérer comme un obscur gâchis, une période plutôt sentimentale, une sorte de période de manièrisme. Je dis cela sans pharisaïsme et sans suffisance.
En ce qui concerne l’existence d’un mouvement, ou ma participation à cette idée de mouvement, la conception de la poésie en tant qu’ « art pur », au sens que je donne à ces mots, revit depuis Swinburne De la révolte puri­taine à Swinburne, la poésie n’a été que le véhicule — oui définitivement, les scrupules et les façons de penser d’Arthur Symon à cet égard ne me retien­dront pas — la carriole et la chaise de poste à charrier des pensées poétiques ou autres. Et les « Grands Victoriens », mais ce n’est pas certain, et assurément la génération de « 90 » ont poursuivi cette évolution, mais en la limitant tou­tefois aux améliorations phonétiques et aux raffinements des tournures.
Mr Yeats a une fois pour toutes dépouillé la poésie anglaise de sa con­damnable rhétorique. Il a fait se perdre en fumée tout ce qui n’est pas poétique — et cela faisait beaucoup. Au bout de son existence il est déjà un classique et « nel mezzo del cammin ». Il a fait de notre langage poétique une langue sans heurts.
Robert Bridges, Maurice Hewlett et Frederic Manning sont, chacun à sa façon, sérieusement concernés par la révision de la métrique, par l’épreuve qu’ils ont faite de leur langage et de son adaptabilité à certaines méthodes. Ford Hueffer s’essaye également à diverses tentatives de modernisme. Le « Provost of Oriel » poursuit sa traduction de la Divina Commedia.
Quant à la poésie du XXe siècle, et la poésie que j’espère lire durant les prochaines années, elle ira, je crois, contre les fadaises : elle sera plus dure et plus saine, elle sera ce que Mr Hewlett appelle « plus près de l’os ». Elle sera aussi semblable au granit que possible, sa force sera dans sa vérité, dans son pouvoir d’interprétation (bien sûr, c’est toujours en cela que réside la force poétique) ; je veux dire qu’elle ne s’en laissera pas imposer par le tumulte de la rhétorique et par le désordre du luxe. Nous aurons moins d’adjectifs colorés obstacles à sa force et à son efficacité. Du moins pour moi, c’est ainsi que je la veux, austère, directe, libre de toutes les entraves de l’émotion.
Que peut-on dire de plus, aujourd’hui, en 1917 ?
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