Poésies d'Alvaro de campos
4 octobre 1930
…
Je n'ai pas pris de billet pour la vie,
j'ai raté la porte du sentiment,
il n'y a eu envie ou occasion que je n'aie manquée,
il me reste aujourd'hui, à la veille du voyage,
la valise ouverte dans l'attente des rangements toujours différés,
assis sur la chaise en compagnie des chemises qui ne tiennent pas à l'intérieur,
il ne me reste aujourd'hui (à part la gêne d'être assis de la sorte)
que de savoir cela :
grands sont les déserts, et tout est désert.
Grande est la vie, et il ne vaut pas la peine que la vie soit.
…
J'allume ma cigarette pour ajourner le voyage,
pour ajourner tous les voyages,
pour ajourner l'univers entier.
Repasse demain réalité !
Assez pour aujourd'hui, braves gens !
Ajourne- toi, présent absolu !
Mieux vaut n'être pas que d'être ainsi.
p.221-222