J’avais l’impression d’avoir de moins en moins de force pour vivre.
Mes émotions étaient éternellement en désordre et c’est pourquoi j’observais tout à travers le prisme de mes extases corruptrices, qu’elles me conduisent à la joie ou au désespoir.
Mais toute psychothérapie, quel qu’en soit le modèle théorique, ne se résume-t-elle pas à cela – louer des amitiés contre de l’argent ? Si le thérapeute est pour ainsi dire respectable, alors cinquante minutes de sa patience, de son écoute active, de ses commentaires et conseils réfléchis et bienveillants, coûtent environ quarante euros. En ce sens, je pense que la psychothérapie est semblable à la prostitution, les péripatéticiennes louant leur corps pour de l’argent, et les thérapeutes leurs âmes. Pourtant, il est injuste que les prostituées qui louent leur corps soient mises au ban de
la société alors que celles qui louent leur âme jouissent d’une bonne réputation. Et il ne fait aucun doute que les premières ont beaucoup plus contribué à la santé mentale de l’humanité que les secondes.
Les développeurs d’animations et d’applications étaient demandés dans le monde entier, mais Dragoljub K. et ses semblables ont choisi de travailler pour quelques centaines d’euros dans une sordide capitale des Balkans, que fuient touts ceux que la mentalité balkanique repousse, cette mentalité fourbe par excellence.
« Quelle génération de merde nous sommes, dis-je, à voix haute. Mes grands-parents étaient des artisans, des apatrides, des ruraux pauvres du Royaume de Yougoslavie. Ils se sont mariés en pleine occupation féroce, d’une guerre fratricide et de la famine. Ils ont passé leur première nuit de noces assis devant des machines à coudre. Leur premier enfant est mort de malnutrition. L’autre a peiné à survivre. Le troisième fut ma mère. Cette génération a créé un Etat et une économie respectables, a repeuplé le pays, éduqué les enfants, les baby-boomers contribuant à relever encore le niveau. Et puis nous sommes arrivés, les milléniaux, avec nos voyages insensés et notre orientation exclusive vers la satisfaction de nos désirs personnels. Que restera-t-il de nous ? Rien ! Nous sommes de simples tire-au-flanc, un détail de l’histoire à recycler. » Je parlais tout en remarquant les chaises autour de moi se vider de plus en plus vite. Ognjen a finalement réussi à me couper une mèche de cheveux. Quel abruti ! Goran riait, nous enlaçait et réglait les problèmes d’organisation : qui allait être avec qui dans la voiture, puisque c’était l’heure de partir à l‘after d’Ognjen. Je ne me souviens pas du tout de ce trajet, même si j’ai été surpris le lendemain en voyant ma Ford en un seul morceau et correctement garée. Il y aurait sûrement eu des traces de sang si j’avais écrasé quelqu’un… ou peut-être pas ? Quelle horreur !