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3.94/5 (sur 9 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Née en France quelques années après la Seconde guerre mondiale au sein d'une famille décimée par la Shoah, Florence Heymann est anthropologue au CNRS et chercheur au Centre de recherche français à Jérusalem (CNRS-MAEE).

Source : diverses
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
La marche de la faim et les barbelés.

La Transnistrie, destination des Juifs déportés de Bucovine, est une portion de territoire prise sur l'Ukraine soviétique entre le Bug et le Dniestr, qui a été octroyée au gouvernement militaire roumain par les forces d'occupation allemandes. Son nom vient de l'appellation roumaine du Dniestr, Nistru. Province roumaine éphémère, elle aura deux ans et sept mois d'existence, du 19 août 1941 au 20 mars 1944.
Aharon Appelfeld, après le pogrome qui a couté la vie à sa mère, s'était réfugié, avec son père, dans le ghetto de Czernowitz. C'est de là qu'il a été déporté en Transnistrie. " D'abord, nos vies furent rendues amères par la faim, puis par le froid. Je fus séparé de mon père, laissé seul avec les femmes et les enfants, et j'étais envahi par des visions de la mort qui courait déjà parmi nous. Les enfants qui jouaient aux osselets sur le sol en ciment la nuit étaient retrouvés morts de froid le lendemain matin. Qu'est-ce qui me maintint en vie ? Je ne sais pas. Quelquefois il me semble que ma mère, qui m'apparaissait souvent dans mes rêves, me murmurait de me lever et de marcher. [ . . . ] Dans la guerre, les corps se ratatinent et les âmes se flétrissent ; la faim et le froid prennent le contrôle sur vous. À la fin, votre vie se réduit à un seul désir : mourir aussi vite que possible. [ . . . ] En 1941, la mort n'était pas encore industrialisée, et tous les moyens pour tuer étaient utilisés. Mon père et moi participâmes à une marche forcée qui commença avec deux cents personnes et se termina avec trente. J'ai essayé de décrire cette marche dans l'un de mes journaux intimes : " Depuis quatre jours. nous pataugeons dans des routes de boue profonde, un long convoi, entouré de soldats roumains et d'irréguliers ukrainiens qui nous fouettent et tirent. Mon père tient ma main très fort. Mes courtes jambes ne touchent plus le sol. Le froid de la boue me coupe les hanches. Tout est sombre autour, excepté la main de mon père. Je ne sens rien, maintenant, même pas sa main. Ma main est déjà en partie paralysée. Je sais : un seul petit mouvement et je vais tomber. Même mon père ne pourra pas me sauver. Beaucoup d'enfants sont déjà tombés de cette manière. À la nuit, quand le convoi s'arrête, mon père me sort de la boue et nettoie mes pieds avec son manteau. J'ai perdu mes chaussures depuis longtemps et je plonge mes pieds glacés dans la doublure de son manteau pour un moment. Le minuscule brin de chaleur fait si mal que j'enlève vite mes pieds. Ce mouvement rapide, pour une quelconque raison, met mon père en colère, et j'éclate en sanglots. Mon père me console et dit que maintenant nous devons être indulgents envers nous-mêmes. Ma mère avait l'habitude de beaucoup employer le mot " être indulgent ", mais maintenant il semblait étrange, comme si mon père ou moi nous étions trompés. Je ne lui lâchais pas la main et m'endormis. Pas pour longtemps. " Tandis que le ciel est encore sombre, les soldats réveillent le convoi avec des coups de fouet et des coups de feu. Mon père me prends sur ses épaules, et quand le fouet me frappe, il me met sur mes jambes et me tire. La boue est profonde, et je ne peux sentir le sol solide. Cela me fait mal, je pleure. Mon père répond immédiatement : " Rends-moi les choses plus faciles ! " J'ai entendu ces mots plus d'une fois ici. Après ces mots on entendait une chute, un cri, un vain effort pour sauver l'enfant qui s'enfonçait. Pas seulement les enfants tombaient. Même les grandes personnes tombaient sur leurs genoux et sombraient. En automne l'eau monte, et la route est un profond bourbier. Mon père ne pouvait plus traîner à la fois son sac à dos et moi en même temps. Il ouvre le sac à dos et jette certains des vêtements dans la boue. Maintenant ses mains me tiennent très fermement. À la nuit, quand le convoi s'arrête, il me frotte les jambes et me fait des massages des jambes et des bras et les sèche avec la doublure de son manteau. Pendant un moment, il me semble que ce n'est pas seulement mon père qui est avec moi, mais aussi ma mère, que j'aimais tellement. "

Au cours de leur marche de Marculesti, au sud du Dniestr, à Bershad, le frère de Ruth Glasberg a réussi à conserver son étui et son violon, objets à la fois très réels et quasi mythiques pour un jeune Juif de cette région. " En mai 1940, avant l'occupation soviétique de Czernowitz, le jeune homme avait été invité à jouer le concerto de Bach en la majeur à la radio de Kischinev. Et voici que sur la route de Bershad, un des soldats de l'escorte remarque l'étui et, d'un coup de botte, le fait tomber dans la boue : " Sale Juif, ton envie de jouer du violon va bientôt disparaître ! " Le futur ingénieur, le futur Menuhin regarde l'instrument arraché à ses mains, à sa vie ; la fillette regarde l'humiliation sur le visage de son frère, et elle regarde la douleur de ses parents, imaginant leurs pensées au moment où ils doivent assister à la mort de leurs ambitions et de leur sollicitude . " La démoralisation des exilés fait partie d'une politique générale.
[ . . . ]
Ces ruines grouillent de gens des précédents convois de Bucovine et des camps dispersés de Bessarabie. " Nous arrivâmes à Attachi, ou plutôt à l'endroit où la ville avait autrefois existé. La partie basse nous était assignée, l'ancien quartier juif sur la rive du Dniestr. À la suite des bombardements, toutes les maisons étaient incendiées ou détruites. Des murs percés de trous, ici et là des morceaux de toit, du sang et de la boue, partout on trouvait les traces du pogrome qui avait détruit toute la population juive de l'endroit. Des corps dans les rues, les caves, les cours - partout. " Chaque jour, des convois arrivent, accroissant la masse chaotique des déportés. Les coins au sec pour dormir sont rares. Il n'y a pas de nourriture. Les cris et les pleurs emplissent la nuit. Malgré tout, chacun espère rester là, car passer le Dniestr, dit-on, représente une mort certaine. Ici, il y a encore un peu d'espoir. Ceux arrivés avant redoutent les nouveaux venus, car chaque convoi provoque le passage du Dniestr pour d'autres. " Ici, parmi les ruines, nous trouvâmes des milliers d'hommes hébétés cherchant de la nourriture. Nulle part il y avait un lieu vide. Le capitaine Popescu nous offrit la grande synagoge. Mais nous ne trouvâmes que quelques murs sans toit où des hommes étaient entassés, nous regardant avec horreur. Ils savaient ce que signifiait l'arrivée d'exilés. Ils pensaient qu'à cause de nous ils seraient conduits au-delà du Dniestr, où ils seraient torturés et exposés à des souffrances pires que la mort. Il était possible qu'à ce moment, certains aient ressenti de l'hostilité vis-à-vis de nous. Dans la lutte pour la vie, pour un morceau de pain ou pour un coin pour se reposer, même dans un caniveau, un homme devient un animal montrant les dents à toute personne s'approchant et pouvant lui disputer ses possessions. [ . . . ] Chacun alla chercher un abri, un petit coin où passer la nuit ; mais peu réussirent à en trouver un. La plupart d'entre nous restèrent dehors. Ceux qui étaient gravement malades et les viellards sans famille furent mis dans une maison qui n'avait ni porte ni fenêtre, seulement un sol sec et un toit. Après la tombée de la nuit, j'allais rendre visite à ma tante, Golda Breiner, une vieille femme de quatre-vingt-sept ans qui eut du mal à me reconnaître. Derrière elle, sur le sol, gisait son mari Shaye Langer, plus de quatre-vingt-douze ans, un des hommes d'affaires les plus respectés de Bucovine, qui était très fier d'avoir été un des délégués au premier congrès sioniste à Bâle. . . Sa femme lui murmura que j'étais là et il me demanda d'approcher. Je m'agenouillai à côté de lui, il me prit la main et la serra en tremblant pendant un long moment. Pendant un temps, il ne put parler, les larmes lui brisant la voix ; puis il se reprit et dit : " Cher docteur, comment est-ce possible qu'on m'ait chassé de Suceava ? Je suis né là il y a quatre-vingt-douze ans. J'ai vécu et travaillé là. J'ai repris le magasin de mon père et l'ai dirigé pendant soixante ans. J'ai été conseiller impérial sous le régime autrichien, conseiller municipal, président de la communauté. Je ne me suis jamais disputé avec personne et j'étais honoré et aimé par tous. Vous devez me promettre que vous allez envoyer des rapports à toutes les autorités compétentes pour leur expliquer tout ce que je vous ai dit et leur demander de me ramener, moi et ma femme, comme nous sommes deux vieux. À Suceava, nous avons déjà préparé les tombes pour nous deux. Ils devraient nous permettre de mourir là-bas. . .. " Les larmes jaillirent de ses yeux, il ne put continuer. Comme je ne pus retenir mes larmes, je promis tout pour qu'il se calme. En une heure, il expira. Je l'enterrai sur la rive du Dniestr. . . "
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