La lumière du jour avait de la peine à se dégager, à se répandre. C'était moins une aube qu'un crépuscule. Depuis de nombreux jours déjà, le soleil s'était muré, encaverné dans le crâne opaque du ciel, derrière ce grand visage convulsé.
Comme nous débouchions sur un carré qu'assiégeait âprement la bise, il se fit autour de nous une émanation de fantômes. Collées aux vitres maculées d'ombre, des faces livides surgirent avec leurs yeux ardents fixés sur nous. Des hommes apparurent sur le seuil des portes et se mirent à marcher à nos côtés. Les soldats les rudoyaient. C'étaient des civils comme nous. Ils étaient maigres et pâles comme des gens qui sont malades ou qui ont beaucoup souffert. Auprès de nous, les paysans fraîchement déracinés de la robuste terre, ils ressemblaient à des bouleaux dépouillés et grelottants devant des chênes.