Les livres suivants datent du Grand Chaos, période cataclysmique à l'origine des Territoires du Nord. Le ton y est sombre, dramatique et pessimiste. Il y est question de fin du monde, d'apocalypse, où transparaît pourtant l'espoir d'en réchapper, comme si l'Homme ne pouvait disparaître à cause de l'importance ou de la supériorité qu'on semblait lui attribuer, comme s'il était essentiel à la survie du monde.
Zeb arriva jusqu'ici par hasard, un jour d'errance où, curieux du monde il avait osé poursuivre son chemin jusque dans ces étroits collecteurs. Le désordre qui régnait dans ces confins oubliés avait réveillé son audace et son indiscipline bridées par les lois strictes de la Doctrine. Il s'était aventuré jusqu'au jusqu'au plus extrême des accès, arrivant devant le centre de documentation. Mû par sa curiosité naïve, à moins que cela ne soit par une étrange intuition, il en franchit l'entrée. Le vieux Rab l'accueillit et lui présenta le centre de documentation, où l'on était censé y trouver tout ce que l'on voulait.
- Tu devrais faire attention de ne pas te perdre, dit le vieux en prenant la clé sous le comptoir, signifiant tacitement que l'accès est libre
- Sois sans crainte, répond Zeb. Je sais faire la part des choses
C’est la peur. Il n’y a pourtant pas de raison pour ça, mais il la sens traverser sa moelle épinière comme un fluide glacial. En même temps il aimerait rire, d’un éclat franc. Peut-être même le fait-il. Tout se mélange en lui, sans cause ni logique. La haine le traverse comme un pic, puis laisse l’amour submerger sa conscience une demi-seconde. Son âme devient un magma, les cloisons de sa conscience semblent avoir cédé et déversent tout leur contenu en lui, pêle-mêle, sans logique ni ordre.
Je me perdais à loisir dans les méandres de l’inconnu, je m’évadais à travers mes expériences à la recherche des rouages du monde, par delà ses apparences, au-delà des mots, tentant de me libérer de tous les concepts soigneusement bâtis au fil des âges, et empilés comme autant de constructions virtuelles inextricables. Ma quête n’était autre que celle-ci, trouver les fondements réels, qui ne soient pas qu’une illusion consciencieusement fabriquée.
Il faut pourtant maitriser ces tendances négatives, car agir inconsidérément conduira à notre perte. Les Sans-Lumière ont déjà failli céder à la colère par le passé. Cela nous aurait été fatal si le Clan n’était parvenu à les en dissuader. Car à cette époque, bien qu’ils se sentissent puissants, les Sans-Lumière n’étaient encore qu’en gestation, et préserver leur inexistence aux yeux de Ceux-Du-Dehors fut leur meilleure défense.
Le combat du silence que nous avons mené jusque-là est celui de la paix, et il fut le seul apte à nous protéger, et à permettre l’émergence des Sans-Lumière. Toute confrontation directe avec Ceux-Du-Dehors aurait conduit à notre anéantissement. La furtivité fait partie de l’esprit des Sans-Lumière, et des fondements de notre peuple, qui fit le choix de disparaître pour exister. Nous ne sommes pas armés pour un combat frontal.
Nous ne sommes pas ici pour résoudre des équations abstraites, contestai-je à la surprise générale. Nous cherchons la nature intrinsèque de ce que nous observons. Raisonnons au-delà du formalisme, affranchissons-nous des mots et des signes mathématiques qui nous limitent à ce que nous savons déjà.
Que vous inspire la physique, à part l’obligation d’apprendre ce qu’on vous enseigne pour passer votre examen ? Par quoi est occupé votre esprit avant de venir ici, et dès lors que vous en repartez ?