Le pli, désormais, est pris : s’impose à nous ce couplage – théorie / pratique – dont nous ne songerions même plus à contester le bien-fondé (et nous aurons beau retravailler l’articulation de ces termes, c’est sans en sortir). J’y vois même un des gestes les plus caractéristiques de l’Occident moderne (ou du monde – si c’est d’après l’ "Occident" qu’il se standardise ?) : tous en chambre, et quels que soient les rôles, le révolutionnaire trace le modèle de la cité à construire, ou le militaire le plan de la guerre à conduire, ou l’économiste la courbe de croissance à réaliser… Autant de schémas projetés sur le monde, et marqués d’idéalité, qu’il faudra bien ensuite, comme on dit, faire entrer dans les faits. Mais qu’est-ce ici que "faire entrer", quand c’est dans le réel qu’on prétend le faire ? D’abord, l’entendement concevrait "en vue du meilleur" ; puis s’investit la volonté pour imposer ce modèle à la réalité. Imposer, c’est-à-dire placer sur, comme pour décalquer, mais aussi y soumettre de force. Or cette modélisation, nous sommes tentés de l’étendre à tout, elle dont le principe est la science ; car on sait bien que la science (européenne, du moins la science classique) n’est elle-même qu’une vaste entreprise de modélisation (et d’abord de mathématisation), dont la technique, comme application pratique, en transformant matériellement le monde, est venue attester l’efficacité.