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EAN : 9782253942924
256 pages
Le Livre de Poche (05/06/2002)
3.98/5   28 notes
Résumé :
" D'où nous vient l'efficacité ? Comment la penser sans construire un modèle à poser comme but, donc sans passer par le rapport théorie-pratique, et hors de tout affrontement héroïque ? A la difficulté européenne à penser l'efficacité - même sur le versant " réaliste " de notre philosophie (d'Aristote à Machiavel ou Clausewitz) - s'oppose l'approche chinoise de la stratégie : quand l'efficacité est attendue du " potentiel de la situation " et non d'un plan projeté d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Conception chinoise de la stratégie, du pouvoir et de la manipulation. Un texte majeur et abordable.

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/06/17/note-de-lecture-traite-de-lefficacite-francois-jullien/
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Plus important encore est que, de cette intelligence rusée, nous ne rencontrons nulle part, en Grèce, la théorie. On peut la déceler partout dans le jeu des pratiques sociales et intellectuelles, et même parfois "de façon obsédante", mais aucun texte ne l’analyse pour nous en livrer les fondements ou nous en montrer les ressorts. Aussi, pour l’étudier, Vernant et Detienne n’ont-ils d’autre ressource que d’interroger les mythes qui la mettent en scène, car elle apparaît toujours plus ou moins "en creux", "immergée dans une pratique qui ne se soucie à aucun moment, alors même qu’elle l’utilise, d’expliciter sa nature ni de justifier sa démarche". Par ce qu’elle suppose de mouvant et d’insaisissable, donc de réfractaire à toute forme érigée en modèle, la mètis échappe à l’entreprise de stabilisation identitaire, sur fond d’Être et de Dieu, à laquelle s’est vouée l’esprit grec. Seuls les sophistes avaient commencé d’ouvrir l’intelligence philosophique aux ressources inquiétantes de la mètis, mais on sait comment leur orientation s’est trouvée tôt refoulée ; il était donc inévitable que la mètis "reste extérieure à ce qui constitue désormais le foyer de la science hellénique" (et le mot lui-même a tôt disparu de la langue grecque). Est-ce seulement par désintérêt pour elle que la connaissance s’en détourne, préoccupée comme elle est d’abord de trouver de la consistance aux choses et d’ordonner le monde ? Ou ne serait-ce pas plutôt que cette perpétuelle mouvance dans laquelle se débat l’action, l’outillage théorique grec (mais qui reste aussi largement le nôtre) ne saurait s’en saisir ? Toujours est-il que cette efficacité pratique, du moins du côté grec – et quelque importance qu’on lui reconnaisse, voire quelque plaisir qu’on ait pris à l’évoquer -, reste impensée.
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Le pli, désormais, est pris : s’impose à nous ce couplage – théorie / pratique – dont nous ne songerions même plus à contester le bien-fondé (et nous aurons beau retravailler l’articulation de ces termes, c’est sans en sortir). J’y vois même un des gestes les plus caractéristiques de l’Occident moderne (ou du monde – si c’est d’après l’ "Occident" qu’il se standardise ?) : tous en chambre, et quels que soient les rôles, le révolutionnaire trace le modèle de la cité à construire, ou le militaire le plan de la guerre à conduire, ou l’économiste la courbe de croissance à réaliser… Autant de schémas projetés sur le monde, et marqués d’idéalité, qu’il faudra bien ensuite, comme on dit, faire entrer dans les faits. Mais qu’est-ce ici que "faire entrer", quand c’est dans le réel qu’on prétend le faire ? D’abord, l’entendement concevrait "en vue du meilleur" ; puis s’investit la volonté pour imposer ce modèle à la réalité. Imposer, c’est-à-dire placer sur, comme pour décalquer, mais aussi y soumettre de force. Or cette modélisation, nous sommes tentés de l’étendre à tout, elle dont le principe est la science ; car on sait bien que la science (européenne, du moins la science classique) n’est elle-même qu’une vaste entreprise de modélisation (et d’abord de mathématisation), dont la technique, comme application pratique, en transformant matériellement le monde, est venue attester l’efficacité.
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Toute l'attention stratégique est donc à reporter à ce stade initial, en amont de l'" occasion ", moment discriminant bien que non encore patent, qui fait imperceptiblement pencher la situation, et d'où découlera progressivement le succès. Là est le premier déclenchement, secret mais commandant l'autre, où se " tranche " de la façon la plus subtile ce qui fera ensuite tout basculer. En même temps que l'occasion se dédouble, la notion de "crise" (krisis au sens de "décision") est donc elle-même à repenser. Car le moment critique ne correspond plus au stade de la manifestation (cf. dans la médecine hippocratique où la crise est le moment où la maladie se "juge "), mais se déplace en amont jusqu'au stade le plus infime - celui de l'amorce - où commence à s'opérer le clivage et qui est " décisif". Il n'est plus lié au spectaculaire, comme dans l'action théâtrale, mais au plus discret. Mais sait-on le détecter, on peut alors prévoir l'évolution et la gérer; et la " crise " peut être désamorcée.
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En conséquence, la stratégie chinoise n’a pas à passer par le rapport théorie-pratique (la notion de potentiel de situation en tenant lieu à sa façon en assurant la médiation entre le calcul initial et la variation circonstancielle). Du même coup, elle échappe à la déperdition inévitable (de la pratique au regard de la théorie) qui a grevé jusqu’ici la théorie occidentale – Clausewitz y compris. Bref, elle n’a pas à rencontrer de "friction" ; car, tandis qu’elle menace tout plan dressé d’avance, la circonstance adventice est, au contraire, ce qui permet au potentiel impliqué d’advenir et de se déployer. Avec l’outillage théorique qui lui est propre, formalisateur et technicien, l’Occident s’est montré singulièrement démuni pour penser la conduite de la guerre, ne prenant en charge que ses à-côtés (ses préparatifs ou ses données matérielles), mais ratant le phénomène lui-même (tel que Clausewitz l’a pourtant identifié : un objet qui "vit et réagit"). Seule issue dès lors, à laquelle Clausewitz lui-même ne saurait entièrement renoncer : invoquer le hasard ou le génie. Par contraste, l’intelligence qu’a développée la pensée chinoise se révèle de nature éminemment stratégique. Dès la fin de l’Antiquité (à l’époque des Royaumes combattants, aux Ve-IVe siècles avant notre ère), les traités militaires en font un exposé cohérent ; et elle a également marqué, dès cette époque, les autres secteurs de l’activité humaine, notamment diplomatique et politique.
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Ce qui caractérise la véritable force, en définitive, est qu’elle ne (se) force pas. La pensée chinoise ne se lasse de revenir sur ce motif : il est dans la nature de l’eau de couler vers le bas ; si elle peut charrier jusqu’aux pierres sur son passage, c’est en se contentant de suivre la pente qui s’offre à elle. L’eau est l’image de ce qui ne cesse de chercher une issue, pour poursuivre son chemin, mais sans faire violence à son inclination, en suivant sa propension (…). Le stratège, comme l’eau, contourne les obstacles et s’insinue par là où la voie est libre devant lui ; comme l’eau, il ne cesse d’épouser la ligne de moindre résistance et de trouver, à tout moment, par où c’est le plus facile de progresser."
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