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Citation de Charybde2


L’homme pédale sur le vélo de Fausto Coppi. C’est une façon comme une autre de se punir. Il a acheté sa bicyclette, avec dérailleur à levier unique, aux Cycles Longoni. Grâce à elle, Coppi a remporté le Paris-Roubaix l’année dernière. Le Campionissimo a bouclé 247 kilomètres à une vitesse moyenne de 39,12 kilomètres/heure. Au regard des conditions météorologiques et de l’enfer des secteurs pavés, c’est proprement prodigieux. L’homme roule depuis un peu plus de neuf heures, dont trois sous le crachin. Il est parti à 7 heures pile. Il a séché dans la descente après Hauterives, à la fin des Terres froides. Bien qu’il ne maîtrise pas encore les subtilités du rétropédalage et qu’il soit trop grand pour faire un bon cycliste, il s’entête.
Il vient de Charly, dans le Rhône. Son identité est crédible pour traquer les assassins : « inspecteur Michel ». Tous les policiers de haut rang ont une légende. La sienne est solide. Il vit avec sa mère dans la banlieue lyonnaise, n’est pas marié et n’a pas d’enfants. Il travaille à la brigade criminelle de Lyon. Il devrait être commissaire, mais il a la phobie de la paperasse et de la réussite. Accessoirement, il aime bien son patronyme. Le double prénom tient de la malédiction. Sans doute parce qu’il est d’usage de l’affecter aux enfants de l’Assistance et que ceux-là garnissent les rangs du crime dans une proportion conséquente.
Présentement, l’inspecteur a pincé son pantalon derrière ses mollets, sa casquette en laine est tournée vers l’arrière et ses lunettes lui donnent un air à la Walter Oesau un vrai as des airs. Avant de quitter la grand-route de Montélimar pour un chemin cabossé, il relève la manche de sa redingote et déchiffre le cadran. Il dit toujours que sa mère lui a acheté la montre-bracelet aux Galeries Lafayette pour son quarantième anniversaire et qu’elle ne le dirait pas ainsi. Elle dirait : « Les Grands Magasins des Cordeliers ». Sa mère n’a d’ailleurs jamais de prénom.
À présent, il est 15 h 22. L’inspecteur se courbe sur son guidon de compétition, contracte ses biceps. Il est en apnée, la côte monte sec. Puis il se met en danseuse. Son temps est compté depuis le 17 janvier 1945. Jusqu’à présent, il a échoué. L’investigation de sa vie est un fiasco.
Il récapitule : il s’est arrangé pour faire appeler la gendarmerie de Crest il y a soixante-douze heures. Il est envoyé par la brigade à cause d’une affaire qui fait du bruit jusqu’à Lyon. Il l’a apprise par Le Progrès : « Les époux Delhomme ont été assassinés. »
Des Delhomme, il y en a beaucoup. Vingt, trente, mille, qui sait ? Il s’est mis dans l’idée de faire l’estimation et il a arrêté.
Il a aussi lu : « Une fillette a disparu. » Elle a onze ans et l’inspecteur vient pour elle. Il s’est spécialisé dans les disparitions, faute de mieux. Celle-ci est la cinquième. Les quatre première n’ont rien donné, si ce n’est le tournis.
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