Citations de Frank Westerman (40)
J'ai longtemps pensé que les photos étaient comme des piquets de tente qui fixent les souvenirs dans notre mémoire, mais c'est faux. Les photos remplacent les souvenirs. Inconsciemment, nous les intégrons à nos souvenirs et il ne nous reste en réalité que de vagues réminiscences de la réalité telle que nous l'avons vécue. Le diaporama qui se déroule dans ma tête est sans aucun doute composé en partie d'images venues plus tard le compléter.
(p. 35)
Dans ce livre-ci, je n’ai pas voulu brandir des critères fondés sur une connaissance accumulée a posteriori. Je me suis laissé emporter par les espoirs et les aspirations de la nouvelle génération d’écrivains soviétiques.
Bien plus encore que des penseurs intrépides et incontournables (Mikhaïl Boulhakov, Daniil Charms, Anna Akhmatova, Joseph Brodsky), ce sont les compagnons de route plus ou moins inconditionnels, les convertis, les paumés et les sceptiques qui m’ont fasciné. Peut-être justement parce que leurs dilemmes et leurs faiblesses sont si reconnaissables.
(p. 331)
Apprendre à s'exprimer, est-ce ce qui permet de renoncer à la violence ?
(p. 136)
Une prise d'otages est toujours suivie d'une deuxième : un enserrement par un cordon de police. Les preneurs d'otages braquent leurs armes sur les captifs, mais sont eux-mêmes dans la ligne de mire des policiers, devenant otages à leur tour.
(p. 43)
Dans les nouvelles éditions des cartes et des atlas il faut modifier le nom de la ville Nijni Novgorod en Gorki. (ordre de Staline en 1932).
Encore quelque peu intimidé...Gorki confie à un ami : "Aujourd'hui pour la 1re fois j'ai vu sur une enveloppe "Gorki" au lieu de Nijni Novgorod. En fin de compte, c'est gênant et désagréable. "
(page 44).
Les statistiques sont impressionnantes. Le nombre de détournements d'avion, dans les années hippies, bat tous les records. […] Au début des années 1970, les détournements d'avion se succèdent au rythme d'un à deux par mois, soit quinze à vingt par an.
(p. 80)
« Négocier [avec un preneur d’otage], c'est avancer collectivement sur la corde raide au-dessus des chutes du Niagara. », répond Havinga quand je lui demande quelle est sa définition à lui. « La corde est glissante et le vent souffle. Tu avances, pas à pas, avec maintes précautions. Tu prends d'énormes risques. Parfois, tout le monde atteint l'autre rive, d'autres fois pas. »
(p. 52)
J'ai intitulé mon reportage, fait à partir du train près de Grozny, « Bons baisers de Tchétchénie ». Le titre aurait dû être : « Comment je suis dans l'impossibilité de rendre compte de la situation en Tchétchénie ». Le cynisme sert de camouflage ostentatoire à celui qui se sent impuissant.
(p. 119)
Le reportage ne contribue pas à rendre le monde meilleur, je ne me fais pas d'illusion là-dessus, mais renoncer à informer ne pourrait que l'empirer, de cela je suis certain. Un correspondant a pour mission de noter ce qu'il voit et de décrire les événements dont il est le témoin direct. Les faits qu'il révèle son précieux–ils fournissent le combustible indispensable au dialogue et au débat, à l'empathie et à la compréhension.
(p. 18)
« L'approche hollandaise », on ignore qui est l'auteur de cette formule, mais elle est devenue un concept, qui signifie « mettre fin pacifiquement à la violence », et le maître en la matière est un psychiatre équanime et sympathique.
(p. 87-88)
La prise d'otages est l'acte de terreur par excellence.
(p. 109)
En surface, dans notre bas monde, il y a deux pôles ; tout ce qui passe pour naturel connaît son antipode dans ce qui n’est pas naturel. La différence entre naturel et non-naturel coïncide avec la différence entre le bien et le mal.
« La mort subite d’un jeune homme dans la force de l’âge est considérée comme non naturelle et donc comme l’intervention de forces obscures, manipulatrices. La mort paisible d’un vieil homme est jugée naturelle et donc bonne. »
« Nous devons donner aux faits le temps de nous raconter leur propre histoire », ce n’est pas la même chose que « les faits parlent d’eux-mêmes ». L’idée est plus subtile. Les faits ne vont pas piper mot au début, même si on les met sur le gril. On peut bien sûr leur donner un nom, mais c’est un acte nécessairement arbitraire. Quel nom ? – Tout dépend de celui qui le donne.
Si la quête que j’ai menée sur l’essence de l’humain m’a appris quelque chose, c’est que nous sommes condamnés à rectifier sans cesse ce que nous croyons savoir. Seule la fiction peut donner l’illusion que la réalité est exacte, de façon éphémère. Tout autre écrit devra toujours laisser une porte ouverte, le début d’autre chose. Version après version. C’est justement la rectification, comme figure de style, qui nous différencie des autres espèces. La version finale n’existe pas.
Toute croyance religieuse, tout propos fanatique, mène au diable selon lui. De même pour les religions sans dieu, comme le marxisme. Havinga condmane les religions dans leur ensemble. (p.90)
Les histoires évoluent, elles sont élaborées puis transformées. En tant qu’espèce humaine, nous devons nous situer par rapport à la nature mais également par rapport à la culture que nous avons produite, c’est-à-dire le royaume des histoires. Même si elles sont imaginaires de bout en bout, il arrive qu’elles deviennent une partie de la réalité.
Si on ne prend pas en compte l’aspect divertissement, une histoire peut soit asservir soit libérer. Il n’y a pas de juste milieu.
En Afrique il se passe toujours et partout quelque chose de déchirant. La pauvreté, l’oppression, la guerre. Certes, je peux m’asseoir à mon bureau et écrire des poèmes lyriques sur la nature, mais c’est du décadentisme. L’Art pour l’Art, ce n’est pas possible en Afrique.
Chaque jour des vieillards meurent et avec eux disparaît leur connaissance du passé. Il y a urgence à collecter ce qu’ils savent.
L’eau étanche la soif, fait pousser les végétaux, purifie. Pour un prêtre qui se tient près des fonts baptismaux, l’eau n’est pas la même chose que pour un sapeur-pompier.