Critiques de F. J. Ossang (3)
En couverture de ce recueil de poèmes, un Polaroïd de Venise rongé par la lumière et en voie de disparition. Effacement de la photo et de la ville. Disparition de la splendeur.
Tout un symbole pour ce volume regroupant quelques-uns des textes de F.J. Ossang écrits sur une vingtaine d’années.
Ossang, nom d’artiste, pseudonyme qu’il faut lire os-sang, os et sang comme dans le verset biblique « Je solidifierai mon sang, j'en ferai de l'os. »
Écrire donc avec ses os et son sang, avec ses tripes.
Concevoir l’écriture « comme une arme » (Landscape and silence), comme l’expression de la rage et du désespoir face à une époque décadente et absurde.
Tel est le projet d’Ossang, par ailleurs cinéaste et ancien membre de groupes punks, comme DDP (De la Destruction Pure).
Ossang, né en 1956, est en effet un de ces fils de la génération No Future où « rien n’est tout à fait vrai. »
Pour le lire, il faut se jeter à corps perdu dans ces mots criés, hurlés, pleurés.
Ne pas chercher une logique, ni non plus l’apaisement.
La langue est violente, noire, triturée, syncopée et hallucinée.
Se faire passif, renoncer au sens et se laisser porter par ce flux verbal presque incontrôlé, mais jamais gratuit, dans lequel on trouve l’influence de Rimbaud, de Lautréamont, mais aussi de W.S. Burroughs, un adepte de la littérature « cut-up » qui revendique un agencement aléatoire des mots, coupés et recollés ailleurs.
« Il faut écrire, le plus mal sera le mieux » ou « Vite, il faut dire ou mourir », c’est le manifeste d’Ossang.
Alors dans ces poèmes que rencontre-t-on ?
D’abord des images, des flashs, des épiphanies. Ossang est cinéaste, ne l’oublions pas.
Venise « dans sa nuit d’octobre. Sa nuit poissée par l’orage l’odeur de poudre et le sang ». « C’était humide et plein de migraines. »
La malédiction. La perte. Le temps qui détruit tout.
Lisbonne dans « le froid spécial des matins de voyage » et Pessoa, le rêveur par excellence.
Les voyages inutiles, vécus ou hallucinés.
« J’ai vu les seuils d’une ville au bord de la mer Jaune,
pris épouse à Moscou, refait mon sort derrière les Andes,
passé l’orage à Montevideo et suis mort d’ennui dans Paris. »
Parmi les textes qui m’ont le plus touchée, aux larmes, on trouve « L’ode à Pronto Rushtonky », un ami suicidé, et « Mes amis sont morts. »
« Pronto dort dort dans nos cœurs de pierre. »
Expérience éprouvante que cette lecture d’où l’on sort essoré, mais en même temps convaincu que les mots peuvent tout, qu’ils sont remparts contre la disparition…
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