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Citation de Charybde2


À l’ombre des murs de l’université, Djaber attend encore quelques minutes en jetant discrètement des regards alentour, dissimulé derrière ses lunettes noires. C’est inutile, sans doute, parce que les hommes de la sécurité militaire sont bien entraînés et savent disparaître dans la foule.
Il traverse la rue et vient s’asseoir à la table voisine de celle de Stein en espérant que la chance sera avec lui.
Les deux hommes ne se regardent pas. Comme d’habitude.
– Bonjour, commandant, dit le Français sans lever les yeux de son journal.
Djaber commande un café. Lui, il n’aime pas le lekhchef : l’eau de rose, la fleur d’oranger, la cannelle… tout ça dans une seule boisson, c’est trop d’Algérie. Trop de clichés algériens pour le commandant Djaber.
Lorsque le garçon dépose la tasse devant lui, il paye immédiatement.
– Vous avez quoi pour moi, commandant ? fait Stein, une fois qu’ils sont seuls.
La main devant sa bouche, Djaber continue de lancer des coups d’œil inutiles à droite et à gauche, derrière ses verres fumés.
– Bon, voilà : les généraux veulent mettre sur pied une action d’infiltration massive des maquis.
Stein note sur son journal, à la page des mots croisés, ce que vient de lui dire son honorable correspondant.
– Les généraux, qui exactement ?
– Smaïl, Médiène, Nezzar et d’autres encore, les janviéristes, quoi. Ils espèrent délégitimer les islamistes du FIS.
Stein a un rapide rictus, il passe une main dans ses cheveux blonds.
– Je ne comprends pas : comment ça, délégitimer les islamistes ?
– Ils veulent placer des hommes à eux au sein même des maquis pour que leurs crimes salissent le FIS et tous les islamistes.
Stein se racle la gorge, visiblement mal à l’aise.
– Vous dites que les généraux veulent commettre des assassinats en les faisant passer pour ceux du FIS ou de l’AIS ? Vous avez des preuves ?
– On m’a demandé d’établir un liste de personnalités de la société civile à éliminer. Une liste destinée à être transmise aux islamistes, sans que ceux-ci sachent que nous l’avons établie.
Le Français cesse d’écrire et ne peut s’empêcher de tourner les yeux vers le commandant Djaber.
– Arrêtez ça tout de suite, intime Djaber sans lever le ton. Vous voulez qu’on me repère ou quoi ?
Stein se penche à nouveau sur ses mots croisés, repousse son verre.
– Franchement, commandant, vos chefs ne sont pas des anges, je veux bien l’admettre. Mais de là à jouer aux docteurs Frankenstein…
Il sourit. Ce con de Français sourit.
Soudain, un éclair passe dans son champ de vision. Djaber ne tourne pas la tête mais il a le temps d’apercevoir un homme à l’arrière d’une voiture bleue garée non loin du café, qui utilise une longue-vue ou un appareil photo. Putain ! quelqu’un le file.
– Je vous laisse, murmure-t-il en se levant.
– Qu’est-ce qui se passe, commandant ? répond l’autre, sans élever la voix et sans cesser de remplir sa grille de mots croisés.
– C’est moi qui vous recontacterai.
– Il me faut des preuves, commandant, sinon jamais mes chefs…
Djebar quitte la terrasse sans écouter. Il ne se demande plus si la France est capable de sauver l’Algérie, il se demande seulement combien il lui reste, lui, à vivre.
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