A première vue, on pourrait croire qu’il n’existe pas de matérialisme plus logique que celui des stoïciens, qui regardent comme corporel tout ce qui a une réalité. Dieu et l’âme humaine, les vertus et les passions, sont des corps. Il ne saurait y avoir d’opposition plus tranchée que celle qui existe entre Platon et les stoïciens. Celui-là enseigne que l’homme est juste, quand il participe à l’idée de justice ; ceux-ci veulent qu’il ait dans le corps la matière de la justice.
Cette doctrine a l’air passablement matérialiste, mais elle n’a pas le trait caractéristique du matérialisme : la nature purement matérielle de la matière, la production de tous les phénomènes, y compris ceux de la finalité et de l’intelligence, par des mouvements de la matière conformes aux lois générales du mouvement.
Et de fait, la pensée que le monde des phénomènes n’est que la copie confuse d’un autre monde renfermant les objets vrais, se retrouve à toutes les époques de l’histoire des idées humaines. Chez les philosophes de l’Inde ancienne comme chez les Grecs apparaît déjà, sous des formes diverses, la même pensée fondamentale qui, modifiée par Kant, est tout d’un coup rapprochée de la théorie de Copernic. Platon croyait au monde des idées, des prototypes éternels et parfaits de tout ce qui arrive sur terre.
En général le conflit entre la philosophie et la physique, tel que Fechner le conçoit, est un véritable anachronisme. Où trouverait-on aujourd’hui la philosophie qui oserait, sous des prétextes quelque peu plausibles, interdire aux physiciens leur atomisme ? Il ne s’agit pas ici de rappeler qu’au fond les atomes « simples » de Fechner ne sont plus des atomes et qu’il faudrait strictement ranger parmi les conceptions dynamiques une cosmogonie qui admet des centres de forces sans aucune étendue.
Remarquons bien que sur le même sol était né, pour la première fois en Europe, cet esprit de libre pensée, qu’il ne faut pas confondre avec le matérialisme érigé en système, mais qui cependant a des liens étroits de parenté avec lui. Ces contrées de l’Italie méridionale et particulièrement de la Sicile, où s’épanouissent aujourd’hui une aveugle superstition et un fanatisme effréné, étaient alors le séjour d’intelligences éclairées, le berceau des idées de tolérance.
La doctrine des stoïciens sur le libre arbitre était d’une pureté et d’une netteté remarquables. Pour qu’un acte soit moral, il faut qu’il découle de la volonté et, par conséquent, de l’essence la plus intime de l’homme ; quant au mode suivant lequel la volonté de chaque homme se formule, il n’est qu’une émanation de la grande nécessité et de la prédestination divine, qui règle, jusque dans ses moindres détails, tout le mécanisme de l’univers.
Les philosophes, dit-on assez souvent dans le camp des sciences physiques, ont une manière de penser totalement différente de la nôtre. Tout contact avec la philosophie ne peut donc que préjudicier à l’étude de la nature. Ce sont là des domaines distincts et ils doivent. rester distincts.
La mythologie, qui se présente à nous, sous les formes riantes et légères, que lui ont données les poètes grecs et romains, n’était la religion ni des masses populaires, ni des classes éclairées, mais un terrain neutre où les unes et les autres pouvaient se rencontrer.
Il existe dans l’étude exacte de la nature un problème qui empêche les matérialistes actuels de rejeter dédaigneusement le doute qui s’attache à la réalité du monde des phénomènes : c’est celui de la physiologie des organes des sens.
L’affinité de Hume avec le matérialisme est peut-être encore plus frappante dans sa vive polémique contre la théorie de l’identité de la personne, de l’unité de la conscience, de la simplicité et de l’immatérialité de l’âme.
Aux yeux de la foule, le philosophe, même le plus spiritualiste, pouvait être poursuivi comme athée ; car nul penseur ne se figurait les dieux tels que la tradition sacerdotale voulait qu’on se les représentât.