G.-H. Schubert

La naissance du mouvement romantique en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe redonne une impulsion nouvelle à cette quête de la profondeur qui retrouve une dimension métaphysique perdue ou occultée par l'essor des sciences et le matérialisme engendré par l'ère des "lumières".Le facteur le plus important dans la naissance du romantisme fut, comme chacun sait, la philosophie kantienne et les amplifications de celle-ci dues à Fichte (1762-1814).La philosophie de ce penseur favorisa en effet l'éclosion du premier romantisme; celui de Novalis avec sa théorie de "l'idéalisme magique", de Friedrich Schlegel, de Schleiiermacher ou encore de Ludwig Tieck.Pour Fichte, en effet, toutes les oppositions énoncées par Kant se résolvent dans une seule opposition fondamentale, celle du Moi et du Non-Moi: le sujet, l'esprit, est le créateur de l'objet, de la nature.L'activité du philosophe (l'acte pur de la pensée) pose, en se posant elle-même, le monde et toutes ses déterminations.Ce qui a séduit les romantiques dans cette doctrine, c'est le "subjectivisme effréné, le dédain du réel, l'exaltation de la vie intérieure".Il en résulte en effet une interprétation résolument neuve de la création artistique en ce que l'artiste, le poète, devient un véritable démiurge qui tire des profondeurs de son Moi les formes et la matière de sa pensée.

En octobre 1806, Schubert s'établit à Dresde ou il retrouva certains de ses anciens camarades d'étude d'Iéna, notamment Wetzel.Là, il fit paraître la deuxième partie de ses "Pressentiments d'une histoire générale de la vie" ou l'on décèle l'influence de la "Théorie des contraires" d'Adam Muller.Mais le sommet de son séjour à Dresde fut sa série de conférences données durant l'hiver 1807-1808, intitulées "Vues sur les aspects nocturnes des sciences naturelles", 1808.
Ces conférences eurent un succès considérable auprès du public cultivé de l'époque et l'édition de celles-ci fit sensation en Allemagne.Elles attirèrent un vaste auditoire dont Caspar David Friedrich, le célèbre peintre romantique, le dramaturge Heinrich von Kleist qui dirigeait alors le journal Phoebus avec Adam Muller, et elles lui valurent l'amitié de Friedrich Schlegel.Cette oeuvre fut très appréciée par Schelling, qui nomma son auteur "l'Ossian des sciences naturelles".l'influence du livre sur Kleist et sur E.T.A. Hoffmann fut telle que ce dernier y puisa la matière de certains de ses contes (...).
Ce qui plut au public de l'époque, ce fut l'évocation des "côtés nocturnes" de l'âme humaine et de la nature, l'intérêt porté aux pouvoirs latents de l'homme, considérés comme des vestiges de l'âge d'or et comme la promesse de la réintégration future de tous les êtres dans l'unité originelle.

La période d'Iéna fut donc pour Schubert d'une extrême importance, car elle contribua largement à faire de lui l'un des Naturphilosophen les plus éminents du début du XIXe siècle.Il conserva de cette époque des souvenirs exceptionnels, comme en témoigne son Autobiographie, ainsi que des relations amicales avec ses deux professeurs.(...)
C'est aussi à Iéna que Schubert découvrit les poètes romantiques Novalis, Tieck, F.Schlegel et Z.Werner dont la lecture l'enthousiasma et l'aida à supporter l'isolement cruellement ressenti que suscitèrent sa promotion et son établissement en qualité de médecin à Altenbourg vers la fin de l'année 1803.Là, il commença son vaste labeur littéraire et "son mariage récent lui apporta le calme et la concentration nécessaires à un travail assidu".(...)

L'itinéraire de la vie psychique va du présent vers l'avenir, du temps vers l'éternité.Pareils aux rochers magnétiques de la fable antique qui attiraient irrésistiblement les navires sur leurs écueils, pareils à la masse planétaire qui, sous l'effet de la puissante pesanteur, précipite tous les corps terrestres vers les profondeurs, l'avenir et l'éternité acheminent l'essence de l'âme vers son infinité.

La conscience s'éveille; devant nous s'étale la mer immense; le voyage commence.

Au-delà des limites de ce que l'on appelle habituellement la civilisation, commence une authentique civilisation supérieure, morale, directement accessible à l'homme naturel, et qui est la préoccupation la plus importante dans notre existence actuelle.Là, nous apparaît sous un aspect nouveau et supérieur, un aspect que le prochain chapitre va nous faire connaître.

...la belle colombe qui, de l'arbre de vie, s'adressait à nous, s'est transformée en pesant oiseau de mort.En vérité, notre connaissance comme notre mode de pensée se sont égarés dans la région glacée ou tout sentiment et tout amour finissent par périr.Mais l'Amour éternel parle encore le langage originel avec nous, le souffle vivant effleure encore les cordes de la lyre et les cordes impures vibrent en même temps que les autres.Et quand l'esprit de l'espèce humaine aura atteint les ultimes extrémités de l'abandon et de la misère ou les derniers rayons de vie ne lui parviendront plus, l'amour éternel qu'il aura cherché en vain et dont il se sera cru très éloigné, lui sera accessible au crépuscule d'un nouveau matin.

La Symbolique en particulier nous livrent le témoignage de l'effort de certains individus à embrasser, par leur spéculation théosophique, la totalité du donné sensible et à l'intégrer dans une méta-histoire, tout en ayant le souci de ne point séparer le crée de l'incrée, le spirituel du concret.(...)

La Symbolique a, (...) une manière de poésie qui lui est propre, et Schubert y fait souvent preuve de talent littéraire, en bon élève des écrivains romantiques qu'il ne cessait de lire.Elle recèle aussi et surtout de fulgurantes intuitions, localisées pour l'essentiel dans la première partie.L'auteur n'y expose pas une véritable théorie de la vie inconsciente, mais apporte d'intéressantes réflexions, notamment sur l'universalité du langage onirique, sur lesquelles s'appuiera un philosophe comme Carus dans l'élaboration de son système de l'inconscient, que l'on peut considérer comme l'aboutissement du romantisme philosophique en Allemagne.Mais le principal mérite de cet ouvrage est d'être un véritable miroir de la Naturphilosophie du début du XIXe siècle; la plupart des grands thèmes qui nourrissent les réflexions de ces penseurs y sont présents: l'inconscient, le rêve, la poésie, la religion, la nature, le mythe théosophique, les considérations et les expérimentations sur le magnétisme, le galvinisme et la voyance.Ce livre constitue donc une sorte de bilan des recherches poursuivies par les philosophes de la nature.

Schelling écrivit au cours de cette période "Idées pour une philosophie de la nature (1797), "l'Ame du monde" (1798), "Première esquisse d'un système de la philosophie de la nature" (1799).Il y reprend le schéma traditionnel de la philosophie de la nature tel que nous pouvons le trouver chez Paracelse, Bohme ou Saint-Martin; la nature est un tout indépendant et autonome qui assure en permanence l'équilibre entre les forces opposées qui s'y affrontent, grâce à une infinie puissance de rajeunissement.(...)
Parmi les nombreux auditeurs venus assister à ses cours, se trouvait à partir de mai 1801 un jeune homme de vingt et un ans, sensible et enthousiaste, Gotthilf Heinrich Schubert, venu tout spécialement de Leipzig pour écouter les maîtres du romantisme philosophique.Son oeuvre principale, La Symbolique du rêve, parue en 1914, est l'aboutissement de toute une partie de sa vie vouée à l'étude et à la spéculation et ou se mêlent diverses influences.

L'obscurité magique de nos rêves devient à nouveau une vive clarté venant d'en haut, les deux parties de notre nature, autrefois en discorde, se réconcilient, le joyau perdu est à nouveau en nos mains.L'aspiration craintive de notre coeur a retrouvé l'objet qui lui convient et, avec celui-ci, la satisfaction, la paix, la joie!

Ainsi se dévoile à nous dans le langage onirique, inné et semblable chez tous les hommes, une richesse particulière de notre nature qui, au cours de toute notre existence actuelle, reste ordinairement dans l'ombre à cause des contrées immenses qu'elle recèle.

...et l'ange, autrefois meurtrier et enchaîné, rayonne à nouveau de toute sa puissance divine dans le monde qui l'environne et nous montre ce qu'était autrefois l'homme et ce qu'il doit être à nouveau par rapport à l'univers, tant supérieur qu'inférieur, dans lequel il se trouve.Le passé et l'avenir, les hauteurs et les profondeurs s'ouvrent de nouveau à l'âme qui retrouve son sens purifié en lui permettant de franchir la cloison écroulée et de plonger ses regards dans une région spirituelle et supérieure.

Je suis terrifié, lorsque parfois j'aperçois en rêve ce côté nocturne de moi-même sous son véritable aspect.

Dans la Symbolique, qui est loin d'être une "clef des songes", Schubert tente d'élaborer une véritable métaphysique non seulement du rêve, mais de tous les états d'inconscience: voyance, "poésie supérieure", prophétie, folie, où l'activité de l'âme échappe au contrôle de la conscience diurne et de la volonté.Il s'agit pour lui, non pas de donner "une véritable théorie du rêve"- comme il l'affirme du reste dans l'avant-propos- mais de chercher le lien qui, dans le rêve et les autres états qui s'y rattachent, met en relation l'homme et la nature d'une part, l'homme et Dieu d'autre part.A cet effet, il fait appel à de nombreux domaines de connaissance: la mythologie, l'expression poétique, les sciences naturelles, la physiologie, la religion.

Il faut savoir retrouver une faculté que l'homme de notre époque semble avoir perdue: l'imagination, mais non pas conçue comme une "maîtresse d'erreur et de fausseté" ou encore comme une fantaisie légère, mais comme une authentique faculté de connaissance.C'est elle qui est à l'oeuvre dans notre ouvrage et peut nous livrer des trésors inestimables que ceux que nous venons d'y découvrir.C'est une faculté essentiellement qualitative, seule capable de retrouver le fil perdu, initialement tendu entre le passé et l'avenir, le bas et le haut, le sensible et le spirituel.Elle est un véritable oeil interne qui nous laisse entrevoir les points de convergence, les lignes de force et nous fait dépasser le manège décevant de nos activités de surface comme les apparences trompeuses des systèmes séduisants.

Fils de pasteur, Gotthilf Heinrich Schubert (26 avril 1780-31 juillet 1860) naquit à Hohenstein en saxe; il fut élevé dans un milieu profondément piétiste et il en conserva toute son existence la foi naive ainsi que la ferveur religieuse, alliées à une bonté et à une simplicité telle que jean-Paul Richter ne l'appelait jamais autrement que "l'enfantin Schubert".Brentano traça de lui le portrait suivant:"j'ai rencontré aussi le philosophe candide, cet être si touchant; il a l'air d'un poussin qui vient de briser sa coquille et qui reste, tout ébahi, à regarder la lumière du jour."

Mais à ce mouvement de contraction, de repli sur la seule réalité de l'esprit créateur succéda bientôt un mouvement inverse de dilatation, de diastole, d'ouverture à la nature dont les récentes découvertes scientifiques venaient de révéler la richesse et la souveraine existence.
Cette deuxième attitude, toute aussi passionnante et parfaitement complémentaire à la première, eut là aussi son initiateur dans le domaine philosophique; ce fut Schelling (1775-1854) dont la fameuse Naturphilosophie engendra de près ou de loin tant d'esprits féconds connus sous le nom de philosophes de la nature.Il vint apporter une systématisation philosophique à la nouvelle compréhension de l'univers inaugurée par des penseurs comme Baader, ou Ritter.

Cette quête exaltée des messages de l'âme et des signes de la nature, qui fonde une bonne part de l'originalité de la philosophie du romantisme allemand, ressuscite un mode de pensée déjà présent dans la Naturphilosophie de la Renaissance et de l'âge baroque avec des penseurs aussi éminents que Paracelse (1493-1541), Jakob Bohme (1575-1624) ou Oetinger (1702-1782).Cette pensée est donc largement teintée de théosophie, le théosophe étant à la recherche de la signification symbolique -latente ou perdue- des choses, afin de mieux situer l'homme dans l'univers et dans un mythe au sens complet, c'est-à-dire comportant les trois volets: cosmogonie, cosmologie et eschatologie.

Fils de pasteur, Gotthilf Heinrich Schubert (26 avril 1780-31 juillet 1860) naquit à Hohenstein en Saxe; il fut élevé dans un milieu profondément piétiste et il en conserva toute son existence la foi naive ainsi que la ferveur religieuse.