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Citation de jmlire92


De sa jeunesse justement, il nous peignait le goût violent. Mais d'abord, il nous faisait l'éloge d'Aragon dont il louait le retour à la poésie en même temps que la vaillance militaire. "Comme en 1918", remarquait-il. Puis, en souriant - ou bien était-ce son calme, sa douceur qui à mes yeux, ressemblaient à un sourire ? -, il évoquait son propre combat de mai 1918, cette journée à Vailly, dans l'Aisne, où, lieutenant de vingt ans, il était monté à l'attaque des lignes allemandes. Il portait des bottes rouges. "Rouges", répétait-il, et cette fois, il souriait vraiment, comme pour se moquer du jeune fou, du jeune écervelé impatient de braver la mort. Et une balle l'a traversé, qui toucha la colonne vertébrale. On le crut mort. Non, il survécut.
   Joé Bousquet nous désigne de la main, parmi les tableaux qui tapissent les murs, une toile de Max Ernst. Dans les rangs des soldats allemands qui, ce jour-là, à Vailly, tiraient sur lui, Max Ernst était présent. Maintenant, et depuis bien des années, l'amitié liait le poète et le peintre... En écoutant Bousquet, en suivant le regard qu'il laissait rêver sur les étranges images de Max Ernst, je songeais que l'un et l'autre vivaient dans des univers situés, en connivence profonde, hors du temps, et comme au-delà de la mort - cette mort qu'au printemps de 1918, leurs jeunesses, alors ennemies, avaient de si près guettée.
   " J'étais un voyou"... Devant nos mines éberluées, Joé Bousquet avait un rire sourd et bref. "Oui, un voyou" reprenait-il. Il précisait combien, à dix-huit ans, il cherchait la bagarre et le risque. L'alcool, la violence, nul projet d'avenir, la vie facile, absurde, au soleil du Midi, pendant qu'au nord la guerre continuait. Sur un coup de tête, il devance l'appel. Dès qu'il a "fait ses classes", il est incorporé dans une unité d'infanterie vouée aux actions les plus risquées. "Il y avait là, dans la compagnie, d'autres voyous, oui, même des types qui avaient fait de la prison... J'étais volontaire pour toutes les missions..." Une blessure lui vaut d'être retiré du front pendant quelques temps. Convalescent, il séjourne peu de jours à Béziers. Son père, le docteur Bousquet, y était mobilisé comme médecin-chef. Sa mère espérait qu'il allait se faire hospitaliser là-bas. Bien au contraire, l'officier de vingt ans demande à remonter au front.
   On sait maintenant qu'une affaire amoureuse et un tragique malentendu poussèrent le jeune passionné à se jeter ainsi de nouveau dans le danger. Il ne nous en fit pas vraiment confidence lors de nos rencontres, mais on comprenait qu'il était allé au-devant de la mort. Je me souviens bien de son sourire un peu moqueur entre deux bouffées tirées de sa pipe d'opium pour répéter : " Avec mes bottes rouges, je suis monté à l'attaque, avec mes bottes rouges... C'était à Vailly, le 24 mai 1918."
   Il y avait vingt-deux ans et trois mois - sans le vouloir, mentalement j'avais fait le calcul - qu'il était passé de la civière sur laquelle les soldats l'emportaient, mourant pensaient-ils, au lit à perpétuité, ce lit où il gisait devant nous, détruit et pourtant rayonnant, victorieux. Victorieux du temps et, en ces jours où la France elle aussi gisait détruite, victorieux de l'Histoire
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