Citations de Gérald Wairy (13)
Je laissai un paysage de roche mouillée qui, après maintes hésitations, finit par opter pour un moiré noir de Pierre Soulages. A mon passage, la forêt gorgée d'eau redressa la tête puis s'ébroua, indifférente aux derniers nuages noirs qui s'accrochaient encore aux plus hauts sommets.
Je ne mis pas longtemps pour découvrir que Pierre-Yves possédait naturellement les qualités que je m'efforçais moi-même de développer souvent au prix d'efforts importants : la bienveillance, la foi en ses semblables, la joie de vivre.
Dans un pays qui n'est pas réputé pour l'hospitalité de ses habitants, il est toujours étrange de trouver un homme heureux d'accueillir un voyageur solitaire pour le simple plaisir de partager un moment avec lui.
Pourquoi faudrait-il qu'une histoire ayant pour cadre la montagne ait forcément une chute?
Pourquoi les jeunes gens bien nés ont-ils le verbe haut et parlent-ils avec l'assurance de ceux qui ont la certitude de dominer le monde? Combien de temps faudra-t-il à ces gamins mal dégrossis pour redescendre sur terre?
Nous sommes dans une société ultra-connectée dans laquelle on veut nous faire croire qu'il n'y a rien de plus beau que le monde virtuel qu'on nous vend. Pourtant être simplement là avec le sentiment d'habiter le monde au présent est un moment de pur bonheur.
A observer les hordes de touristes, on a même le sentiment que plus personne ne semble être en mesure de voir le monde autrement qu'à travers l'objectif de son smartphone.
Peut-être avaient-ils raison? Monter pendant des heures les marches d'un escalier imaginaire. Faire une sieste à l'ombre d'un arbre. Regarder la pluie tomber. Sentir l'odeur de l'herbe. Ecouter le miaulement de la buse. Tout cela n'avait aucun sens et ne valait sans doute pas plus que de gravir une montagne, peindre, traverser un océan ou écrire un poème.
Le discours reflétait l'époque. Il fallait dorénavant être "ouvert et tolérant avec l'autre" (sic) et surtout s'attacher à "donner du sens à nos actions pour aller dans la bonne direction" (re sic).
Et nous aujourd'hui, quels visages offrons-nous devant l'objectif du photographe? Entendons-nous encore cette injonction de l'Histoire qui nous intime à nous tenir droits et à ne pas détourner le regard? Ne sommes-nous pas déjà en train de naviguer dans les eaux troubles e la complaisance? N'avons-nous pas déjà entamé des négociations en échange de quelque accommodement raisonnable? Les petites plaques rondes et les noms gravés dans la pierre ne nous obligent-elles pas à regarder la réalité en face?
Tous ces jeunes hommes dont je lisais le nom n'avaient pas eu le temps d'être ce que j'étais aujourd'hui. Emportés trop tôt. Fauchés dans leur élan. Dans une France fatiguée où la valeur de l'engagement paraît douteuse et le patriotisme suspicieux, il me semblait que l'héroïsme anonyme de ces milliers d'hommes valait bien cette modeste marque d'attention.
Fuir avait sur moi un pouvoir régénérateur. Fuir, c'était échapper un temps à la marche forcée d'une société en surchauffe. Avec la fuite, je prenais le frais.
Ce dimanche avait débuté dans la lumière d'une froide matinée d'hiver. Le vent d'est rassemblait dans sa course de gros nuages gris et les abandonnait dans un paysage mélancolique. L'hiver menait ses derniers assauts. Dans quelques semaines, il abandonnera définitivement la lutte, convaincu de n'avoir ni la force ni le courage de poursuivre le combat.