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Citations de Giuseppe Antonio Borgese (7)


Septembre est déjà avancé. Hier soir, de ma fenêtre, j'ai vu de bonne heure la poussière de diamant des Pléiades ; et même de jour, le ciel a je ne sais quelle moiteur, quelle morbidesse de ciel étoilé...
Les herbes ,à peine coupées, pâlissent. Elles gisent, revêtues de nuances exsangues, sur le vert dense qui dure encore ; crêtes pâles d'une mer intense. Et elles exhalent dans l'air un encens, auquel, déjà débordant de félicité, je résiste à grand peine.
Particulièrement incroyables à voir sont les colchiques, les vieillottes ; chacune pour soi, et elles sortent de terre sans leur vêtement de feuilles, fleurs nues ; mais, dans certaines clairières, innombrables ; mauves constellations dans un ciel d'autres mondes. Tantôt elles semblent des églantines ainsi tombées des haies ; tantôt ce sont des améthystes. Si l'on cligne des yeux, on dirait parfois qu'elles courent, courent sur des pieds mignons de Cendrillons. Quand la faux les atteint, elle tombent en avant : onze mille vierges massacrées.
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Elle était florissante et saine, d'une beauté qu'on eût dite pétrie par le Créateur dans un moment de hâtive gaieté. Il n'était pas une ligne de son visage qu'on pût considérer comme achevée et parfaite ; ses cheveux sombres, foisonnants, et gonflés au sommet, lui donnaient une allure peuple qu'elle exagérait avec une écharpe jetée sur les épaules ; et son corps lui aussi, haut et plein, quoique bien cambré sur des chevilles nerveuses, était trop prometteur. Ses joues étaient trop amples, son menton trop énergique, sauf quand venait les parfaire un sourire ; et son teint mat de brune besoin de passion ou d'alacrité pour briller. Je ne l'ai pas vue souvent sourire ; mais, si elle ne souriait pas, elle avait fréquemment une expression de curieuse taquinerie, de puéril caprice, d'une grâce égale au sourire. Et ses dents, ses yeux resplendissaient ; son regard était si électrique et si fort, qu'il semblait captiver les yeux même dont il émanait !
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Une imagination inquiète, ce soir-là sur l'Alcione, avait gravé un roman dans son esprit, comme une ombre monstrueuse sur un mur. Cette même imagination freinée par la prudence, guidée par l'espoir, pouvait le conduire à une vérité insignifiante. Le regard de Vittorio, la fixité de sa femme étaient indubitables...
Lorsque l'âme se trouve prise dans de tels lacs on voudrait que toute chose fût traduite en paroles ; en paroles qui peuvent être brutales, meurtrières, mais qui ont du moins un sens précis. Les regards des yeux sont au contraire comme la musique, qui émeut les coeurs, mais qu'on ne peut traduire en mots précis.
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Vers la tombée du jour, au milieu de la grand'rue l'odeur putride de la marée se heurte au parfum de fleur d'oranger, ténu, acidulé, semblable presque à celui du muguet ; la brise marine se dissout dans la poussière du sirocco arrivant des Terres Rouges - rouges exactement comme la toison du lion - où les vignes donnent un vin de feu.
Alors les femmes du peuple se montrent aux portes des bassi, au niveau de la rue ; elles ouvrent les yeux comme si elles s'éveillaient. Elles soulèvent les rideaux de leurs paupières sur leurs yeux dolents et indolents, emplis d'une obscurité où tremble une flamme jaune, de rêves aussi indéchiffrables que ceux des animaux ; si quelqu'un les appelle de l'intérieur elles répondent, en ployant le cou, d'une voix qui se souvient des complaintes funèbres. Plus haut les balcons éclosent ; les dames font leur apparition ; elles se saluent et discutent d'un balcon à l'autre, monotones, intarissables. Mais lorsqu'elles s'accoudent à la balustrade elles tiennent leur corps en retrait ; si elles s'assoient, avant toute chose elles ordonnent leur robe sur leurs bottines par crainte de ceux qui, passant dans la rue, pourraient lever les yeux. Celles qui se trouvent aux balcons pourvus de balustrades arrondies doivent y veiller particulièrement ; on ne voit jamais l'une d'elles poser par distraction un pied sur les ferronneries.
C'est à cette heure que vivent les femmes de Megara, entre le déclin du jour et le soir, comme les liserons qui s'épanouissent au crépuscule.
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"A Mégara onmet encore des oeillets au balcon, et les femmes portent des robes longues ; c'est pour cette raison que la simple vision d'une cheville fait littéralement trembler les jeunes gens. Mais ceci arrive rarement, car elles sont prudentes et surveillées ; et elles se surveillent elles-mêmes; et s'il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l'ourlet de leur robe maculé de boue que d'avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers."

"Je ne crois pas avoir jamais vu femme aussi belle. On ne voyait rien d'elle, que son visage. Les femmes d'alors n'étaient pas comme celles d'aujourd'hui, qui ressemblent à des fruits nus au milieu du feuillage."

"Et son visage était incomparable : nez droit, lèvres pures, des yeux dont je ne saurais plus dire s'ils étaient d'un bleu paisible, ou gris comme la cendre couvrant un feu caché."
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Les Calumi, après avoir vendu la villa qu’ils avaient dans les Préalpes, migrèrent vers la mer, en quête d’un soleil plus généreux. Cependant la transplantation fut sans grand profit, comme pour des plants qui n’ont pas envie de reprendre racine. Même à la mer, les suivait, exsangue, le sentiment de vivre inutilement ; à moins que le but de la vie ne fût de contempler la vie, et de s’aimer, dans la solitude. Mais le monde d’aujourd’hui (nous l’entendons dire tous les jours) n’appartient pas aux contemplatifs ; et cela même, s’aimer, sans changement, toujours pareil, comme la respiration, ressemblait au beau fixe et au calme plat qui, sur notre mer, peuvent durer des mois, et font parfois désirer la tempête.
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11. LE VEUF

* Même à la mer, les suivait, exsangue, le sentiment de vivre inutilement ; à moins que le but de la vie ne fût de contempler la vie, et de s’aimer, dans la solitude. Mais le monde d’aujourd’hui (nous l’entendons dire tous les jours) n’appartient pas aux contemplatifs ; et cela même, s’aimer, sans changement, toujours pareil, comme la respiration, ressemblait au beau fixe et au calme plat qui, sur notre mer, peuvent durer des mois, et font parfois désirer la tempête.
C’est elle qui changea la première de caractère. Elle devint nerveuse. Elle en vint jusqu’à parler de ce sur quoi, toujours et d’un commun accord, ils avaient maintenu un rigoureux silence ; jusqu’à mettre un doigt sur la plaie que durant tant d’années ils avaient évité de toucher, de peur de s’arracher un cri ; et, à plusieurs reprises, elle parla du malheur de ne pas avoir eu d’enfants. Par intervalles, particulièrement aux plus beaux jours de la belle saison, elle s’abandonna à sa tristesse. Elle dit qu’il fallait faire de grands voyages, s’installer définitivement en ville, adopter une fillette ; tout cela, pêle-mêle ; mais en somme, vivre, vivre la vie, sortir de soi-même ; et s’en aller de là. Or, lorsqu’on a perdu la stabilité dans la vie, la première fois qu’on doit traverser un peu de vide, il vous vient le tournis…
… De qui Calumi voulait-il se venger ? du sort, avec lequel ils avaient toujours, pourrait-on dire, pris des gants, et qui le leur rendait avec une poigne de fer ? Mari et femme avaient l’habitude de dire : « Il faut traiter le sort en grand seigneur ; avec délicatesse ; avec prudence ; ne pas le provoquer ; ainsi, il passe et ne s’aperçoit pas de nous. »
Et voilà que, non invité, non provoqué, le son passait et arrachait.

* -Andrea… Andrea… je te demande… je te demande... jure-moi que tu ne te remarieras avec aucune autre.

* Habitué la solitude, il ne parvint pas à l’éviter, même en s’installant en ville.

* Lorsqu’on est habitué dès sa jeunesse à la compagnie de la femme, elle devient indispensable, même si on ne l’étreint pas. Il suffit de sa voix cristalline qui entre en contrepoint avec le timbre grave de l’homme ; du frôlement de ses robes ; de l’odeur fraîche qui pénètre, si l’on ouvre une porte, comme si l’on ouvrait une fenêtre ; des mille choses inutiles et chatoyantes dont elle ceint la monotonie des jours comme un filet d’or futile orne, au couchant, les nuées. C’est un carillonnement de mots ; un air que l’on respire ; une lumière, plus fragile et plus délicate, comme celle qui traverse une dentelle.

* ; ce fut ainsi, pour ces motifs et pour d’autres analogues, mais aussi pour ôter à la maison cette odeur de wagon neuf de deuxième classe qu’ont les maisons des célibataires quand elles sont bien tenues, qu’entra comme gouvernante chez Calumi Melle Eugénie Leroux, charmante Française de vingt-cinq ans, et au casier
judiciaire tout à fait vierge.
Or, un jour quelle était assise en face de lui avec sa douce jambe faite au tour découverte par la courte jupette, et que, doucement, elle lui expliquait l’Odette de Proust, Calumi brusquement n’entendit plus les mots et sentit, par contre, une écharpe de feu lui enserrer la moitié du crâne, de la tempe à la nuque. Il se pencha en avant ; et il la saisit à la taille.

* Ensuite, les années furent rapides, les premières années en descente, celles qui, de la jeunesse, ont encore la fougue, mais une fougue d’inertie. La première partie se fait à toute allure, presque volontiers, avec, dirait-on, les forces accumulées en montant ; on laisse la cime derrière soi, sans se retourner pour la regarder ; plus bas, on reprend le frein ; une autre rampe commence, plus longue, plus douce ; et c’est la vieillesse.

* Aussi longtemps qu’il était avec les autres, il se sentait tranquille. Le soir tard, quand il rentrait chez lui, les souvenirs accouraient à sa rencontre, par nuées, toujours plus nombreux. Au début, il essaya de les chasser ; ensuite, non.

* Une à une, lui apparurent, surgissant de la pénombre, celles qu’il aurait pu épouser : la cousine de Lia, la sœur de son ami Ghezzi, la veuve du général Furno Melle Eugénie Leroux… Ah ah ! la veuve Furno ! Celle-là le faisait bien tire.
Elles défilèrent devant lui joutes ensemble.
N’importe laquelle !
Il sortit à nouveau sur le balcon.
J’aurais dû jurer de ne me remarier avec personne. Et puis épouser n’importe qui ! Il s’étonna d’entendre le ton de voix, immobile dans l’air, avec lequel il avait prononcé ces mots.
Il tenait dans ses mains – pouvait-il dire – les deux bouts de cette phrase, comme les deux morceaux d’un bout de bois mort qu’il aurait cassé sur son genou : le bois mon de sa vie.
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