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Citation de babounette


Préface - Mon Père.
En commençant l'écriture de ce livre, je savais que je m'attaquais à la face nord d'une montagne verglacée.
Il n'y aurait pas d'aimable mercière cette fois, pas d'amoureuse éperdue, pas plus que de petite fille qui apprendrait à pardonner à son papa de lui avoir tiré une balle de révolver dans la figure. Et surtout, pas de happy end.
Il n'y aurait que deux hommes. Un Père et un père. Un face à face. Un règlement de mots. Une boucherie à propos du désir de l'un et de l'interdit de l'autre. De frayeurs d'homme, en somme. Il y aurait mes peurs anciennes d'enfant lorsque l'ombre me couvrait de nuit et de larmes. Il y aurait mes angoisses de père plus tard - et cette infirmité de ne jamais pouvoir protéger tout à fait ceux qu'on aime. Il y aurait aussi ce que notre part humaine compte de plus cannibale et de plus désespéré.
Alors oui, lorsque, après avoir lu la brève quatrième de couverture, cette dame a reposé Mon Père sur la haute pile derssée devant moi au salon du livre de Vannes et qu'elle m'a dit "je ne le prends pas, c'est trop dur", j'ai su que j'étais parvenu au sommet de ma montagne, là où l'on est forcé de regarder en bas, regarder loin ; là où, sans avoir besoin de cligner des yeux, l'on voit tout - la cime des arbres comme les noirceurs qu'ils tentent de masquer, et dans la plaine les hommes qui fuient et au seuil des maisons les femmes qui pleurent. Ainsi, ce qui semblait être "dur" à ma visiteuse de Vannes, c'était de voir. Et donc de savoir. Voir et savoir le mal fait à nos enfants, nos faiblesses à les défendre, l'appétit des ogres. Je crois que tôt ou tard il faut montrer, il faut nommer, car l'imagination est sans fin lorsqu'elle se hasarde du côté du féroce. Je crois aussi, qu'en ces temps où la pensée est réglementée et, aux heures sombres du monde, la parole suspectée, il est du devoir de l'art de retrouver son rôle d'empêcheur de vivre en rond, de pousser les murs, de cogner, d'évoquer "cette sinistre nouvelle de ce qu'un homme a pu faire d'un autre homme". Il faut retrouver cette liberté essentielle qui consiste à parler de tout, à montrer tout, cette joie de donner la parole à ceux qui ne l'ont plus car leurs mots en eux sont restés enfouis, car les mots en eux ont été émiettés, et s'ils arrivent parfois, oh rarement, que quelques-uns parviennent enfin à leurs lèvres, ils ne sont pas cueillis, pas recueillis. Qui croit, qui entend un enfant qui dit "papa m'a fait du mal" ? Ou grand-père ? Mon grand frère ? Monsieur le curé ? Qui peut croire qu'un protecteur a pu devenir un bourreau ? Un effroi ?
Écrire, c'est écouter le monde, les vents chauds, les vents doux, mais aussi les tempêtes et les ouragans. C'est nommer pour empêcher l'oubli. C'est dire pour donner une vie.
Écrire, c'est enfin se dénuder pour habiller l'autre .
Voilà, chère lectrice vannetaise, ce que j'aurais voulu vous dire lorsque vous avez reposé Mon Père et que vous vous êtes éloignée, comme on s'écarte du chagrin d'un homme, ou d'une pierre qui brûle. Et vous dire merci, à vous qui avez osé ce livre.
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