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Citation de Alzie


Flaubert à Maupassant

Croisset, 15 août 1878

[...]
Maintenant parlons de vous.
Vous vous plaignez du cul des femmes qui est "monotone". Il y a un remède bien simple, c'est de ne pas vous en servir. "Les événements ne sont pas variés." Cela est une plainte réaliste, et d'ailleurs qu'en savez-vous ? Il s'agit de regarder plus près. Avez-vous jamais cru à l'existence des choses ? est-ce que tout n'est pas une illusion ? Il n'y a de vrai que les "rapports", c'est-à-dire la façon dont nous percevons les objets. "Les vices sont mesquins", mais tout est mesquin ! "Il n'y a pas assez de tournures de phrases !" Cherchez et vous trouverez.
Enfin, mon cher ami, vous m'avez l'air bien embêté et votre ennui m'afflige, car vous pourriez employer plus agréablement votre temps. Il faut, entendez-vous jeune homme, il faut travailler plus que ça. J'arrive à vous soupçonner d'être légèrement caleux. Trop de putains ! trop de canotage ! trop d'exercice ! Oui, monsieur ! Le civilisé n'a pas tant besoin de locomotion que prétendent messieurs les médecins. Vous êtes né pour faire des vers. Faites-en ! "Tout le reste est vain", à commencer par vos plaisirs et votre santé ; foutez-vous cela dans la boule. D'ailleurs votre santé se trouvera bien de suivre votre vocation. Cette remarque est d'une philosophie ou plutôt d'une hygiène profonde.
Vous vivez dans un enfer de merde, je le sais, et je vous plains du fond de mon coeur. Mais de cinq heures du soir à dix heures du matin tout votre temps peut être consacré à la muse, laquelle est encore la meilleure garce. Voyons ! mon cher bonhomme, relevez le nez ! A quoi sert de recreuser sa tristesse ? Il faut se poser vis-à-vis de soi-même en homme fort, c'est le moyen de le devenir. Un peu plus d'orgueil, saperlotte ! le "garçon" était plus crâne. Ce qui vous manque ce sont "les principes". On a beau dire, il en faut ; reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n'y en a qu'un : tout sacrifier à l'Art. La vie doit être considérée par lui comme un moyen, rien de plus, et la première personne dont il doit se foutre, c'est de lui-même.
[...]
Je me résume, mon cher Guy : prenez garde à la tristesse. C'est un vice, on prend plaisir à être chagrin et, quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n'est plus temps. Croyez-en l'expérience d'un scheik à qui aucune extravagance n'est étrangère.
Je vous embrasse tendrement.
Votre vieux

[Sans signature]

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(p. 84 à 87)
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