- Oh, les vieilles photos de famille, en revanche, sont assez cool.
J'ai rigolé.
- Est-ce que c'est ton grand-père ? a demandé Kate.
- Non, c'est J.R.R. Tolkien, ai-je répondu.
- Je vois, a dit Kate. Celui qui a écrit cette histoire de lutins dans la forêt, c'est ça ?
- Des hobbits, ai-je rectifié. J.R.R Tolkien est un auteur anglais.

J’ai pris ma douche en quatrième vitesse. J’ai enfilé mon tee-shirt préféré, un jean et des baskets. Je suis allée chercher Josh chez lui, comme tous les matins depuis que nous avons le droit d’aller à l’école tous les deux. Soit depuis quatre ans seulement, ma mère étant un rien anxieuse quand il s’agit de ma sécurité. (Après réflexion, le terme approprié est paranoïaque.)
Il était devant la porte de son garage, en train de faire des paniers, la musique à fond sur son portable posé sur le muret. Quand il m’a vue, il a envoyé le ballon derrière la gouttière, juste sous la fenêtre de sa chambre, comme il le fait toujours quand il a la flemme de rentrer le ranger.
– J’ai calculé que si j’allais au lycée en courant, je gagnais quatre minutes de basket en plus le matin, a-t-il dit. Et après, je me suis souvenu qu’on y allait ensemble.
– J’ai fait un calcul presque similaire, ai-je répondu. Si je ne t’adresse pas la parole du trajet, je dois m’épargner facilement trois points de Q.I.
Il a rigolé et m’a embrassé.
Dans la rue.
Devant nos maisons.
Quelque chose de mou et un peu humide nous est tombé sur le coin du crâne.
– Poppy ! a hurlé Josh, bien trop près de mes oreilles.
Effectivement, sa soeur nous regardait depuis sa fenêtre du premier étage, une peluche dans chaque main, prête à nous bombarder.
– Si tu n’arrêtes pas tout de suite, je te promets que tu vas le regretter, a crié Josh.
Pour toute réponse, il s’est pris un panda en pleine tête.
– Je les ai mises dans l’eau, a lancé Poppy, très contente d’elle. Pour les lester.
– Je ne ferais pas ça à ta place, Poppy chérie, ai-je dit en ramassant un lapin qui, un jour, avait dû être rose. Je suis sûre que tu tiens beaucoup à ce lapin.
– Oh, tu peux le garder, a répondu l’enfant maléfique. Celui-là, je l’ai trempé dans les toilettes.
Autant dire que je l’ai aussitôt lâché. L’enfant du mal a brandi un ours à la couleur douteuse dans notre direction. C’était le moment de déguerpir.
- Joshua, ta mère demande si tu peux lui prendre une bouteille d'eau.
Josh a eu un rictus hargneux, qui ne lui ressemblait pas du tout, mais il a obéi, en nous plantant là.
- Ça va, Harp ? m'a demandé Sean.
J'ai évité de répondre, par solidarité, et j'ai mis les lunettes à strass que Josh laissé sur le présentoir.
- Bien, a-t-il continué, vous allez nous faire la gueule pendant toutes les vacances ?
Bien que, restons lucide, au lieu de virer au baiser romantique, il est fort probable qu'il aurait dû sauter du bateau pour aller chercher des secours, pendant que je me serais contentée de faire une crise d'angoisse toute seule, persuadée qu'une bête monstrueuse allait surgir des profondeurs pour me dévorer.
J'ai pu cependant tirer quelques conclusions : le meilleur moment d'un baiser se trouve exactement avant, quand on a le coeur qui bat à cent à l'heure et qu'on sent les lèvres de l'autre se rapprocher, et qu'on a peur et envie à la fois. Embrasser quelqu'un, c'est définitivement se jeter dans le vide.
Vendredi 1er décembre
Quand je suis descendue pour le petit-déjeuner, mon petit frère Benji était déjà à table, ce que j’aurais à peine remarqué s’il n’avait pas porté des cache-oreilles. Il en a soulevé un et m’a demandé :
– Tu sais quel jour on est ?
J’allais lui répondre que je n’étais pas son calendrier perso quand le chaos est entré dans la pièce.
Un choas très maternel, qui portait un sweat-shirt « Team Santa » tellement pailleté qu’on aurait pu l’accrocher au plafond pour éclairer la pièce.
Comme je l’ai aussitôt craint, Mariah Carey s’est mise à beugler « Tout ce que je veux pour Noël, c’est toi » !
« Vous êtes une idéaliste introvertie poussée à l’imitation grégaire par votre appartenance à un milieu socioculturel favorisé. Vos difficultés à communiquer vous maintiennent dans des schémas traditionnels. Votre côté pointilleux et autoritaire vous empêche de faire profiter un partenaire d’un épanouissement qui ne s’exprime que dans la solitude. Par conséquent, il semblerait que votre partenaire idéal n’existe pas dans le monde réel. »
- Non, a-t-il dit. Après, ce sera l'automne.
D'accord, il se payait ma tête.
- Et après, l'hiver, pour nous tous. D'abord pour moi. Ainsi va la vie...
Pour la première fois, j'ai eu envie de le serrer dans mes bras.
- Ne t'inquiète pas, grenouille, a-t-il ajouté. Tant qu'il aura un grand homme, et une femme plus grande encore pour écrire leurs noms sur un arbre, tout ira bien.
Ma mère est d'une naïveté attendrissante. Il suffit qu'on me dise d'éviter quelque chose pour que j'aie aussitôt envie de le faire.
Un meilleur ami est plus précieux qu'un amoureux