Citations de Hans Bellmer (12)
27. Sept. 61.
La Noue-en-Ré
Cher Henri Michaux,
contre votre gré et le mien vous avez été amené à être le spectateur ou participant involontaire du drame »Unica«, qui, selon les lettres et dépêches reçues hier, semble être entré dans le dernier acte déchirant.
Le fait est que depuis plusieurs années Unica (ne m’aimant plus) a incorporé dans son »royaume intérieure« les dieux mythologiques – mi-littéraires mi-personnels – : Ernst Kreuder (Re-Romantique allemand d’après-guerre [»La Société du Grenier«, »Les introuvables«) ensuite, parallèlement, Arp et Michaux.
"L’homme qui a peur ajoute : "vous allez dans la forêt, vous prenez votre couteau pour couper ce que vous croyez être une branche et vous trouvez que vous avez coupé votre propre bras."
Le choc éprouvé devant la duplicité des apparences est trop violent pour que le jeu de la comparaison poétique courante en épuise l’essor, pour que l’on ne se propose pas une révision radicale de nos conceptions d’identité"
Comment veux-tu que je t'appelle quand l'intérieur de ta bouche cesse de ressembler à une parole, quand tes seins sont à genoux derrière tes doigts et quand tes pieds s'ouvrent ou cachent l'aisselle, ta belle bouche en feu...
la femme serait comme une anagramme, dont il varie à l'infini les variations et métamorphoses, selon le moteur du désir
L'ensemble des images du corps tendant à rester intact, même après des amputations réelles, nous pouvons penser que les parties situées à l'intérieur du cadre de notre discrétion - le menton, l'aisselle, le bras - se chargent en plus de leur signification propre des valeurs de la jambe, du sexe, etc., qui sont devenus disponibles juste par leur refoulement
L'artiste d'aujourd'hui, s'il ne veut pas tourner à vide, être un raté passé de mode, ne peut choisir qu'entre la technique et la propagande pour la lutte des classes. Dans les deux cas, il doit abandonner l'art pur
Dès que, par le geste intuitif du menton, l’analogie “sexe-épaule” est établie, les deux images entremêlent leurs contenus en se superposant, le sexe à l’aisselle, la jambe naturellement au bras, le pied à la main, les doigts de pied aux doigts. […] Main et dent, aisselle et sexe, talon et nez, bref : excitation virtuelle et excitation réelle se confondent en se superposant. […] On se demande si le plaisir du bras de simuler la jambe n’équivaut pas au plaisir de la jambe de jouer le rôle du bras, on se demande si la fausse identité établie entre bras et jambe, entre sexe et aisselle, entre œil et main, nez et talon, ne serait pas une réciprocité
une jambe n'est réelle que si on ne la prend pas fatalement pour une jambe
L’essentiel à retenir du monstrueux dictionnaire des analogies-antagonismes, qu’est le dictionnaire de l’image, c’est que tel détail, telle jambe, n’est perceptible, accessible à la mémoire et disponible, bref, n’est RÉEL, que si le désir ne le prend pas fatalement pour une jambe. L’objet identique à lui-même reste sans réalité
Faut-il en conclure que la plus violente comme la plus imperceptible modification réflexive du corps, de la figure, d'un membre, de la langue, d'un muscle, serait ainsi explicable comme tendance à désorienter, à dédoubler une douleur, à créer un centre 'virtuel' d’excitation ? Cela est certain et engage à concevoir la continuité désirable de notre vie expressive sous forme d'une suite de transports délibérants qui mènent du malaise à son image. L'expression, avec ce qu'elle comporte de plaisir, est une douleur déplacée, elle est une délivrance