Qu'est-ce qui vous a pris d'échanger vos armes contre des armes russe ?Vous deviez pourtant savoir que le numéro de chaque arme est porté sur le livret militaire du soldat, et que celui-ci est responsable de tout le matériel qui lui est confié. Vous le saviez, n'est-ce pas?" Sans attendre la réponse, il poursuivit : "Vous n'ignoriez pas, en outre, que la qualité de notre matériel est infiniment supérieure à celle du matériel russe, et..." Comme Steiner hochait négativement la tête, il s'interrompit, les sourcils en accent circonflexe : "Quoi ?"
"Pas du tout, fit Steiner. Au contraire, nous pensons que la mitraillette allemande est très loin de valoir la russe. Demandez aux hommes dans les tranchées. Ils vous le diront tous."
"Sornettes ! répliqua Stransky d'une voix tranchante. Ce que nos techniciens et nos spécialistes produisent dans les fabriques allemandes d'armes et de munitions n'a pas d'égal. Vous avez toutes les raisons de vous montrer heureux et reconnaissants de posséder ce matériel admirable que le pays met à votre disposition au prix de sacrifices inouïs."
Steiner ne réussit pas complètement à réprimer un sourire : "Vous oubliez, répondit-il, que je ne suis pas ici de mon plein gré."
Dans l'uniformité de leur existence, les jours de Pâques passèrent presque inaperçus. A peine ressentaient-ils la douceur du printemps. Parfois seulement, quand, devant leurs abris, ils se tenaient au fond du boyau et offraient leurs visages las à la chaude caresse du soleil, ils fermaient les yeux et oubliaient, pour quelques minutes, le milieu environnant, jusqu'au moment où un obus éclatait à proximité et recouvrait leur tranchée d'un nuage opaque de fumée et de poussière.
Il est indéniable qu'il y a chez nous un grouillement de despotes empêchés de se donner libre carrière. Pour se confirmer le sentiment de leur importance, ils ont besoin de sentir une échine sous leur botte, comme un petit bout de femme a besoin de talons hauts pour afficher un air de confiance en soi. Mais ces despotaillons ne sont entravés qu'aussi longtemps qu'ils ne portent pas l'uniforme.