Soliloque du vieux tableau- A Edgar Degas
Rien au monde n'entend autant de bêtises qu'un tableau
Sous mon réseau de craquelures
Et mes vernis superposés,
Dans mon vieux cadre à fioritures
Dont les ors se sont apaisés,
Je regarde les gens qui passent
Depuis trois siècles devant moi,
Et leurs paroles me délassent
Sur le mur où je me tiens coi.
Je m'amuse de leurs sottises
De leur besoin de critiquer;
Quoi donc entend plus de bêtises
Qu'un tableau ? peut-il répliquer ?
[....] Passe un restaurateur-la peste !
Le nez sur la loupe qu'il tient :
"Non, vraiment, pour ce qu'il en reste
Il faudrait que tout soit repeint !"
Un autre expert vient, qui m'ausculte
Il me trouve un peu de chanci,
Puis me retourne-quelle insulte-
Pour n'admirer que mon châssis !
[...]
Un guide polyglotte amène
Des étrangers las et trainards:
"Voyez ce tableau phénomène.
-Il vaut cinq cent mille dollars."
Un jeune peintre qui pratique
Un art abscons et transcendant:
"Elle n'est pas du tout cubique,
Trop réelle ! c'est dégoûtant! "
[...]
Un homme bien modeste passe
Que je vois souvent-qui revient;
Il reste un long moment en place,
Il m'admire...mais ne dit rien !
Faut-il en pleurer ? faut-il en rire ?
Eh bien, je n'en ai vu trois fois dix
En trois siècles ! qui sans rien dire
Ont regardé, jugé, compris !
O, cher grand peintre qui m'a faite
Si belle pour l'éternité,
Sois heureux, ta gloire est complète:
La voilà, la postérité !
Août 1935 (p.186-187)
sa palette de couleurs très retenue a d'autant plus étonné qu'il était capable d'utiliser des coloris très intenses dans ses lithographies et qu'il s'inspirait manifestement des trente six vues du Mont Fuji d'Hokusai aux teintes très vives.
profondément marqué par la découverte de l'univers d'Hokusai et des autres maitres du mouvement Ukiyo-e, Rivière se lança dans la réalisation d'estampes et d'aquarelles qui réutilisaient des éléments stylistiques japonais.
les nombreuses références de Rivière à Hokusai et à l'art japonais font de ses trente six Vues la dernières des grandes œuvres du japonisme qui séduisit l'Europe et les Etats Unis à la fin du XIXème siècle
Le choix de Rivière, des gris, des noirs et des terres d'ombre brulés correspondait bien aux coloris utilisés dans d'autres livres illustrés japonais du XIXème siècle.
L'année de la parution de l'ouvrage en 1902, la vogue du japonisme déclinait déjà; c'était l'art nouveau qui avait la faveur du public et des artistes.
Ce livre dont la réalisation prit dix ans et qui célébrait un monument éminemment moderne semblait appartenir au siècle précédent.
Il se mit même à la gravure sur bois, fabriqua ses propres encres et imprima sur du papier japonais importé.