Au lever du rideau, Latenac, assis sur un escabeau branlant, répare son soulier au moyen d'une alène.
Il interrompt son travail pour souffler sur ses doigts que le gel engourdit.
Un faux mouvement du corps, à cet instant, lui rappelle que son escabeau tient à peine ... Cet constatation lui suggère une idée, devant laquelle, il hésite tout d'abord, les yeux fixés sur le poêle.
Brusquement, il se décide, enlève deux traverses de l'escabeau, les introduit dans le poêle qu'il bourre de papier, et allume le tout.
Cependant par la porte ouverte de la cloison, on a vu Sacha ouvrir celle du palier, traverser à pas de loup l'antichambre et entrer dans la pièce comme un voleur.
Latenac ne l'aperçoit pas, tout à son affaire.
Le poêle allumé, il reprend son travail interrompu ...
Robert .- Voici le fait : trois cent familles meurent de faim, et ce n'est pas là manière de parler. Hier, j'ai vu une, le père, la mère, six enfants, couchés sur la grève, faute de logis. J'en ai vu d'autres dans leur taudis, claquer des dents.
Sur la route d'Antibes, la fillette de Gréco, le tourneur, arrachait aux talus des racines qu'elle dévorait en regardant passer les automobiles des hivernants. J'ai vu le père de Césari, un vieillard, celui-là, avaler des pommes de terre pourries ramassées dans les poubelles des restaurants....Le grand Veglio, de l'équipe Froissard, en courant derrière les voitures de la gare, pour décharger des malles, est tombé sur la chaussée parce qu'il avait le ventre vide. Il expire à l'hôpital...Sa femme hurle à la porte comme une bête...Sous mes yeux, la petite Maria Testa s'est convulsée, a raidi ses petits bras et s'est éteinte, parce que sa mère n'avait plus de lait.
Quoi encore ?
Je ne sais plus...Des atrocités...J'ai vu des choses qu'on ne peut pas soupçonner, des choses auxquelles personne ne voudrait croire, auxquelles on ne croira jamais, et que pourtant j'ai vues, impuissant, soulevé par une telle vague d'horreur, que j'ai failli me précipiter dans la rue, ivre, ivre de révolte et de douleur, pour frapper du couteau, au hasard, dans le tas, dans une société qui permet ça....une société qui mange, qui boit, qui aime, qui chante, qui pense...et qui permet ça !
(extrait du troisième acte de "l'embuscade" pièce parue dans "la petite illustration" en avril 1913)
A Nice, chez les Guéret. La terrasse à l'italienne qui entoure leur villa, sur les collines fleuries du mont Boron, face à la mer. A droite, un peu masquée par un groupe de palmiers, une aile de la maison blanche, précédée d'un large perron. Les fenêtres brûlent dans la nuit vaporeuse, car les Guéret donnent ce soir une fête de fin de saison. Il est très tard. L'orchestre tzigane s'alanguit.
Au fond des invités vont et viennent. D'autres s'attardent, accoudés sur les balustres, à contempler le site ruisselant de lune. Un domestique passe des rafraîchissements. Tout le monde parle. Brouhaha.
Maurice, tout à coup, avec un grand geste impérieux. - Chut !....
(lever de rideau de "l'embuscade" pièce parue dans "la petite illustration" en avril 1913)