Tant que nous ne parviendrons pas à connaître le drame de la Nakba, à le reconnaître, à le comprendre, à l’enseigner, bref à le partager, sans pour autant nier l’énormité et l’unicité de la catastrophe juive, cette terre déchirée ne connaîtra pas la rédemption. Et nous ne ne trouverons pas de solution entre égaux à notre tragédie commune, autrement dit la paix
Il s’agit aussi d’un livre sur la mémoire collective, sur la mémoire comme agent de culture, forgeant la conscience et l’identité et simultanément forgée par elles en un processus constant et réciproque ; sur la façon dont Israël a engendré et produit une mémoire collective des morts et des traumatismes de l’histoire juive, et comment cette mémoire a été élaborée, codifiée et manipulée au sein de l’espace public israélien, en particulier au cours du demi-siècle qui a suivi la destruction des Juifs d’Europe.
tout au long du XXe siècle, la biographie de la nation sioniste-israélienne a rassemblé ses catastrophes, ses guerres et ses victimes, les a adoptées et assimilées à travers la remémoration et l’oubli, en a forgé des récits, les a dotées de sens, les a léguées à ses enfants, en construisant son image à travers elles comme si la nation devenait ces catastrophes et ces morts.
Tout comme dans le passé, les événements actuels semblent démontrer comment le processus de sacralisation de la Shoah – qui est toujours une forme de dévaluation -, soudé à la sacralité de la terre, et la soumission des vivants à cette double théologie, ont transformé ce qui devait être un refuge, un foyer, une patrie en un temple et un éternel autel.
A travers un processus dialectique d’appropriation et d’exclusion, de remémoration et d’oubli, la société israélienne n’a cessé de se définir en relation avec la Shoah, de se considérer toute à la fois héritière et procureure des victimes, dans un double mouvement d’expiation de leurs péchés et de rédemption de leur mort.
C’est ainsi qu’Israël s’est transformé en lieu crépusculaire où la Shoah n’est plus un événement du passé, hétérogène et complexe, mais une éventualité permanente et une idéologie à tout faire.
Israël se dote d’une aura de sacralité, celle de la victime ultime, et s’avère imperméable à la critique et au dialogue rationnel avec le reste de la communauté des nations.
Mais l'engrenage était déjà en marche.