Epicentre
(...)
La moissonneuse ronronnait plus fort
que le râle des genêts.
Entre ses dents pointues
jouait la langue de la mort,
qui léchait, caressait, coupait
la gorge des souris et des jeunes lièvres
aussi aisément qu'elle mettait fin
à l'érection du champ de trèfles brumeux.
Oui, les hommes le cou gorgé de sang
retournaient au foyer dans la nuit,
repliés sur eux-mêmes,
repliés sur la nuit.
C'était ça la douleur.
Il arrivait parfois
qu'un homme et
sa souffrance
après un long voyage dans les champs
s'assoient sous un arbre,
le cou du violon
délicatement, délicatement posé
sur le tatouage de son poignet.
Puis il se mettait
à jouer.
La cour de la ferme devenait alors
une croisée des chemins.
Ce sont ces nuits-là
qui m'ont appris
à parler le langage de la pluie et des érables.
J’étais entre la fenêtre
et l’érable et me demandais pourquoi
j’étais venue au monde et pourquoi
ils étaient venus au monde.
Je me demandais à quoi ils pensaient
quand ils sillonnaient la terre
avec des seaux remplis d’eau
ou de lait. Quand ils empoignaient
le manche de leurs outils
était-ce leurs propres vies
qu’ils saisissaient, en hâte,
comme en passant,
sans désinvolture aucune.
Quand ils remplissaient les seaux
d’eau pour les bêtes et les portaient
à travers les champs parfumés était-ce
leurs propres vies qu’ils offraient
à ces museaux poisseux.
Ils restaient là sous le ciel
à regarder l’eau disparaître
au plus profond de ces ventres ronds,
restaient là à écouter
les gargouillis de l’eau sous la chair.
À quoi pensaient-ils
quand ils restaient là,
quand ils rentraient, lentement,
et les maisons venaient à leur rencontre
et les abritaient de l’averse
violente, encore un clin d’œil
du Tout-Puissant.