Isabelle Dumielle

Lettre d'un soldat libérable à son frangin
(Dimanche 4 Août 1913)

Au moment de t'écrire petit frangin,
Je sent la plume qui tremble dans ma main.
Elle est inattendue et cruelle cette nouvelle loi
Qui me rend chagrin.
Douze mois de plus à faire à la caserne
Çà ne donne pas du coeur à la giberne.
Bien sûr que l'on ne se plaint pas :
On se contient, on est soldat,
Mais faut voir ce que l'on dit tout bas.

Qu'est-ce que tu vas faire avec nos vieux ?
Qu'étaient si contents et si joyeux
De voir ma libération prochaine.
Calme leur peine, essuie leurs yeux.
Répète surtout à ma promise
Que notre union pour un an est remise.
Mais qu'elle peut compter sur moi,
Qu'malgré cette terrible loi,
J'lui conserve mon cœur et ma foi.

Si je ne suis plus de la classe
Le temps bien vite se passe.
J'ose espérer, qu'enfin, je reviendrai
Pour toujours libre, et je l'épouserai.
À moins qu'une horrible guerre
M'appelle vers la frontière
Et les combats d'où ne reviennent pas
Les pauvres petits soldats.

Cependant si tu m'as bien compris
Au devoir je demeure soumis.
Et gaiement, sans me laisser abattre,
J'irai combattre pour le pays.
Je n'ai pas l'esprit militaire,
Je voudrais qu'il n'y ait plus de guerre,
Que la France garde ses enfants,
Et qu'en fait de la loi de trois ans
Que l'on fasse le désarmement.

Ce serait humanitaire de supprimer les frontières.
Plus de trois ans, ce serait bath mon frangin.
Plus de sac au dos, plus rien sur le grappin.
Mais il faut sauver la France
Qui s'arme pour la défense.
En attendant que les peuples soient unis,
Défendons notre pays !

( Encore 413 jours demain, et la fuite ! )