Nous nourrissons toujours l’idée que l’accélération technique nous permettra de posséder plus de choses, d’en faire plus et de mieux vivre, cultivant ce qui, en sociologie et en histoire des sciences, constitue un champ de recherche récemment apparu, l’agnatologie, ou science de l’ignorance, qui étudie la production, l’entretien et la propagation de l’ignorance. Cette science, savamment pratiquée par les lobbyistes, étudie la façon dont les dégâts du « progrès » peuvent être cachés.
Un nouveau discours s'installe : la nature sauvage est morte, cessons de rêver à une nature vierge, fantasmée et romantique qui n'existe plus ; il faut en finir avec l'acharnement thérapeutique et les soins palliatifs coûteux qui ne servent à rien. Développons une conservation en phase avec notre temps, "une nouvelle conservation" adaptée à l'Anthropocène.
La théorie de l'évolution permet donc de comprendre pourquoi il est si difficile pour le cerveau humain de prendre la mesure de problèmes qui se profilent sur un temps qui n'est pas le sien.
Nous nous comportons comme si nous étions tous climatosceptiques et écolosceptiques parce que tous ces changements se passent à des échelles qui nous dépassent. Même si la réalité des dérèglements du climat n'est plus discutée, ils ne nous effraient pas tant que nous n'avons pas ressenti physiquement leurs effets.
A chaque niveau des hiérarchies biologiques, des populations locales aux grands écosystèmes, l'histoire de la vie est une réponse permanente à l'incertitude, à la violence, au changement et à toutes sortes de pressions exercées par le non-vivant sur le vivant, mais aussi par le vivant sur le vivant! C'est à ce prix que la vie se perpétue, car cette violence est constructive et structurante.
Dans ces conditions, chaque fois qu'une espèce ou qu'une population génétiquement différenciée s'éteint, c'est, pour reprendre une métaphore souvent utilisée, une page d'une grande encyclopédie, écrite dans un langage difficile à comprendre par les humains, qui est arrachée, une bibliothèque d'informations acquises par l'évolution pendant des millions d'années, qui disparaît à jamais.